LA PÉRIODE D'ESSAI : PÉRIODE DE PROBABILITÉ OU D'APPROBATION ?

 

En Côte d'Ivoire, l'embauche de travailleurs par les employeurs est libre. Cette pratique est prévue par les dispositions de l'Article 11.1 de la Loi n° 2015-532 du 20 juillet 2015 portant Code du Travail qui permet aux employeurs d'engager directement leurs travailleurs mais aussi par l'Article 14.2 dudit Code qui laisse les parties contractantes convenir de la forme de contrat qui leur convient.

Toutefois, cette liberté occulte la prudence du législateur qui a également prévu que les parties conservent le droit ou la possibilité de soumettre leur contrat de travail (fut-il un CDD ou un CDI) à une période d'essai (Article 14).

La période d'essai devient dès lors une période de test, au gré des circonstances, une période de probation pour les parties : un salarié tenu de prouver... et un employeur obligé d'apprécier et/ou de convaincre pour conserver son salarié. Mais, peut-on, en un laps de temps, juger de l’adéquation homme-poste, mieux, déceler la compétence ? Le fait qu’un salarié se montre performant ou se fasse remarquer positivement dès sa prise de service, est-il un élément suffisant pour le qualifier de compétent et propice à l'entreprise ? Est-ce à dire la compétence pourrait être assimiler à la performance et donc s’en tenir pour être assuré que l'on a pris la bonne décision, celle de la confirmation ou d'approbation ?  Le contexte d'incertitude pendant la durée de l’essai ne fait-il pas finalement admettre que la période d'essai reste une période de probabilité ?

Si tant est que des facteurs tels que l’instabilité de l’avenir, l’exposition à des facteurs imprévisibles, le doute sur l’avenir, la précarité du poste, le risque et le défi régulent le contrat de travail, il paraît donc opportun d’examiner la probabilité de la période d’essai dans son fondement juridique, la notion de temps dans lequel elle s’inscrit et l’analyse du jeu des volontés des acteurs (employeur et du salarié).

Mais il conviendrait auparavant de comprendre la notion de probabilité. Le dictionnaire de la langue française définit la probabilité, au sens commun, comme l'apparence de vérité, la chance qu'une chose a d'être vraie. Dans une acception Mathématique, notamment en Statistiques, la probabilité est le rapport du nombre des cas favorables au nombre des cas possibles ; l'on parle de forte ou faible probabilité ou encore de théorie ou loi de probabilité.

 

La période d’essai, une période de probabilité par fondement juridique

La période d'essai est prévue par le Code du Travail de 2015. Ce qui lui donne un fondement essentiellement juridique. Malheureusement, cette disposition du Code renvoie à un décret d'application qui est, jusqu’à présent, inexistant. En raison de ce vide, il est courant de recourir au précédent Décret de 1996 (Décret n°96-195 du 7 mars 1996 relatif à la période d'essai). Or, ce Décret de 1996 limite à 4, les types de période d’engagement à l’essai contrairement à l’Article 14 de la Convention Collective Interprofessionnelle du 19 juillet 1977 (CCI) qui cite 5 types :

ü 8 jours pour les travailleurs payés à l'heure ;

ü 1 mois pour les travailleurs payés au mois ;

ü 2 mois pour les agents de maîtrise, techniciens et assimilés ;

ü 3 mois pour les cadres, ingénieurs et assimilés ;

ü 6 mois pour les cadres supérieurs 

Ainsi, le cadre supérieur d’une entreprise se verrait imposer un essai de 3 mois dans une entreprise dont le secteur n’est pas signataire de la CCI là où pour le même poste, un autre cadre supérieur devrait effectuer 6 mois pour avoir été engagé dans une entreprise signataire de la CCI. La variété des textes applicables favorise la mauvaise interprétation de la loi. La lucarne faite par le Code du Travail de 2015 à travers ces termes « le contrat de travail (…) peut comporter une période d'essai... » donne le champ à la suspicion, à l'hésitation pour prendre une décision de confirmation ou non. Ce vide juridique quant à la précision de source rend moins crédible la période d'essai, lui donnant un caractère de probabilité. L’anomalie est surtout ressentie au niveau de la durée du préavis.

 

La période d’essai, une période de probabilité de par sa durée

La durée de la période d’essai accentue sa tendance à la probabilité. En effet, le délai dans lequel se déroule cette période est si bref. Il commence à courir dès le premier jour de l’embauche pour prendre fin théoriquement au dernier jour, soit au maximum 3 ou 6 mois selon que le salarié soit Cadre ou Cadre Supérieur, avec un employeur signataire ou non de la CCI.

En réalité, la période d’essai dure moins que la durée prévue dans les textes car l’employeur est tenu de décider formellement du renouvellement ou non de cette période 15 jours ou 1 mois avant le terme prévu, selon qu’on soit dans un cas d’essai de 2, 3 ou 6 mois. Ces 15 jours ou 1 mois déduits des 2, 3 ou 6 mois fixés initialement, il ne reste que 45 jours, 2 mois 15 jours ou 5 mois dans lesquels sont compris les jours non travaillés (généralement samedi et dimanche) et les jours fériés. Finalement, l’on se retrouve (dans un cas de période d’essai de 3 mois) avec environ 60 jours uniquement au lieu de 90 jours théorique prévus par les textes pour juger de l’adéquation d’un Cadre à son nouvel emploi.

 

Qui plus est, chaque partie peut rompre le contrat de travail à tout moment et sans motif. Du jour au lendemain, l’un ou l’autre peut ne plus vouloir poursuivre la collaboration. Toute minute qui s’écoule met la pression sur chaque acteur. Il y a là une question de timing très serré. A titre s’exemple, Et si le salarié tombe malade fortuitement dans ce laps de temps, la probabilité de le juger comme un salarié à la santé fragile est forte. Le risque de renouveler sa période d’essai est latent, s’il n’est pas mis fin à la relation contractuelle ; car tout dépend du moment auquel est survenu l’arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle. Il y va également de la volonté de l’employé et de l’employeur.

 

La période d’essai, une période de probabilité au gré du salarié et de l'employeur

La période d’essai n’a de véritable sens que par la volonté formelle des parties, notamment l’employé, de fournir ses prestations à l’autre partie (employeur) en demeurant sous l’autorité de ce dernier contre rémunération. Les deux parties, concluant ainsi un contrat de travail, ont une responsabilité partagée pour atteindre un résultat. La collaboration peut commencer par l'épreuve de l’essai, une période probatoire, dûment notifiée par écrit.

Ce faisant, l‘employeur se donne le temps d'apprécier les aptitudes du salarié qui peut être un nouvel employé dans l'entreprise ou un ancien, proposé à un nouveau poste dans une politique de carrière professionnelle. Pour l’ancien salarié, cette période est abusivement appelée période d’essai ; en réalité, il s’agit d’une période probatoire. A la différence de la période d'essai qui concerne le nouveau salarié, l'échec du salarié ancien, au terme de la période probatoire, ne conduira pas systématiquement à la rupture du contrat de travail en cours, mais à un retour aux conditions antérieures de collaboration.

Au cours de la période d’essai, il est question, pour le nouveau salarié, de mesurer l'intérêt contenu dans le travail à lui confier. Un salarié ayant peu d’expérience professionnelle ou aucune, ne se comporte pas comme un salarié doté d’expérience professionnelle conséquente.

Le salarié, doté d'expérience professionnelle conséquente, à qui est proposé ou imposé une clause d'essai dans le contenu d’un contrat de travail, est généralement mitigé quant à son ardeur et enchantement à intégrer avec diligence sa nouvelle structure. Son ardeur s'estompe devant cette clause qui le met dans une situation de précarité qu'il souhaite brève ; il la considère comme une manœuvre dilatoire de l'employeur qui profite d'une lucarne légale.

Quant au salarié en début de vie professionnelle ou ayant peu d’expérience professionnelle, il aspire à une stabilité par la conclusion d’un contrat de travail définitif. Mais il n’est généralement pas suivi dans cette attente par son employeur qui, quoiqu’intéressé par le potentiel de cette nouvelle recrue, ne se fie entièrement à sa simple volonté, à la présomption de compétence.

D’un point de vue psychologique, les premiers résultats peuvent être trompeurs. Car concomitamment à l’essai qu’il traverse, le salarié vit l’intégration dans un monde de travail nouveau où il rencontre un groupe, une culture, des usages qui peuvent lui être hostiles, donc risque de contre-performance. A contrario, il peut immédiatement bien se sentir pour exceller, quitte à sombrer les mois suivants. Il se montre sous une apparence, dans un rôle qui n’est pas le véritable. Comme on le voit, au cours de la période d’essai, la probabilité qu’employeur et employé s’apprécient de façade est forte ; la probabilité de prendre la décision de confirmation par conviction est faible.

 

CONCLUSION

En imagerie populaire, la période d'essai est au contrat de travail ce que les fiançailles sont au mariage.

Et le législateur ivoirien conseille implicitement la prudence aux acteurs en leur proposant une période d'observation. Les hésitations de la loi, la contrainte de temps et les intérêts des parties en présence gagneraient à migrer vers la construction d’une relation contractuelle durable. Celle-ci aura comme conséquence positive pour l'employeur de disposer d'une compétence qui ne pourrait lui échapper aussitôt les premiers jours.

Mais la période d’essai ne devrait pas constituer pour l’employeur un parapluie légal pour mettre fin au contrat de travail pendant la période d’essai, sans motif objectif. S'il est vrai que l’employeur n’est pas tenu de faire connaître formellement les raisons qui le conduisent à mettre fin au contrat de travail pendant la période d’essai, le risque que le salarié puisse faire la preuve que lorsque l’employeur a agi de manière malveillante à son égard ou encore que ce dernier a abusé de ce droit latent ; il en est de même pour la condamnation à des dommages et intérêts. 

C’est donc l’esprit de la construction d’une relation de travail durable qui posera les jalons qui permettra de déceler à la longue la compétence du salarié au moyen de mécanisme objectifs d’évaluation. Un salarié performant en si peu de temps est un signal de potentiel élevé, qui est à confirmer dans les exercices successifs. Ainsi, l’on passerait de l’étape de la performance à celle de la compétence qui pourrait conduire à une pratique de management de talents à terme. La période de probabilité ou période d’essai conduirait in fine à une véritable approbation.

 

 

Nicanor BLEY

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