" Le communicateur doit inspirer confiance"
Grande “prêtresse’’ de la communication, la PDG d’Océan Ogilvy a été distinguée du Grand Prix de la communication, le 30 avril 2014, à Abidjan, lors de la cinquième édition des “Bâtisseurs de l’économie ivoirienne’’. Ministre déléguée à la Communication de novembre 2005 à avril 2007, Martine Coffi-Studer est PCA de Bolloré Africa Logistics Côte d’Ivoire depuis 2014 et Administrateur de plusieurs autres grandes sociétés en Afrique et en Europe. L’érudition, la rigueur et l’exemplarité de cette femme discrète et fascinante rayonnent depuis plusieurs décennies.
RH Mag : Martine Coffi-Studer, vous êtes “notre invitée’’ pour ce numéro. Nous allons vous prier, comme de coutume dans cette rubrique, de parler de vous. Votre parcours académique et professionnel.
Martine Coffi-Studer : C’est toujours difficile de parler de soi. Mais ce qu’on peut retenir me concernant c’est que j’ai un parcours un peu atypique puisque je suis économiste de formation et que je me retrouve à la tête d’un groupe de communication. Ceci pour dire que la formation dans un domaine spécifique compte, mais aussi qu’il faut oser aller vers des domaines qui ne sont pas forcément vos choix initiaux. La pluridisciplinarité alliée à l’ouverture d’esprit permet parfois des passerelles intéressantes.
D’après ce que vous dites, la communication n’est donc nullement pour vous un concours de circonstance… Disons que j’aimais déjà le marketing. Comme vous savez, dans la filière des sciences économiques, on a deux options : l’option publique et l’option privée que j’ai choisie ; une option donc entrepreneuriale et de gestion. Dans cette branche, vous avez aussi une bonne formation en marketing et communication. C’est donc surtout par passion, par attirance que je suis arrivée à la communication.
La communication vous a bien réussi depuis la création de votre agence Océan, en 1988. Aujourd’hui, vous êtes présent dans une vingtaine de pays africains. Un franc succès ! Quel est le secret ? Le secret ? Je vous dirais qu’il n’y a fondamentalement pas de secret à cette performance parce qu’il y a des méthodes de management qui sont universelles notamment en termes de gouvernance, de bonne gestion, d’honnêteté, d’éthique et qui sont pour moi des valeurs cardinales. Mais il faut à la base du talent. C’est notre talent qui fait qu’on nous retient ou qu’on ne nous retient pas. Il faut être créatif, imaginatif et persuasif. Il faut avoir des idées, savoir les vendre et les mettre en valeur. En somme, je pense que c’est ce qui fait le succès d’Océan Ogilvy un peu partout en Afrique. Mais nous avons la modestie de dire que nous ne sommes pas les premiers créateurs ivoiriens d’agence de communication. Il y a eu Michel Butrille, Sylvestre Kpalou et bien d’autres avant nous. Mais nous avons tous un grand maître que nous reconnaissons en tant que tel, un maître d’exception qui a formé et lancé beaucoup de jeunes, en l’occurrence M. Ousmane Sy Savané. Il est notre doyen à tous. C’est notre mentor en quelque sorte. J’ai eu l’occasion de lui rendre hommage dernièrement au cours de la rentrée des étudiants de l’ADESCOM du CERCOM où j’avais eu l’honneur d’être invitée. Ousmane Sy Savané, lui, n’est pas allé dans le privé comme certains jeunes audacieux que nous étions mais il a eu quand même le privilège de gérer LA plus grande régie de Côte d’Ivoire qui était “Ivoire Média’’ à l’époque. C’était la régie nationale, la régie publique qui gérait tous les grands supports à savoir la Radiodiffusion Télévision Ivoirienne (RTI), Fraternité Matin, Ivoire Dimanche etc, en plus de l’affichage et d’Ivoire Conseil, la cellule conseil.Parlons du métier même de la communication… Il nous faudrait plus qu’une interview (rire)… La communication est un métier passionnant. Je dirais que c’est peut-être l’un des métiers les plus anciens parce qu’on a toujours communiqué Parler, c’est communiquer ; bouger, c’est communiquer. J’ai coutume de dire ici à mes standardistes qu’elles sont les premières communicantes de l’entreprise parce qu’au son de la voix, le client sait si vous êtes quelqu’un d’heureux ou pas dans votre travail. Votre voix parle. Pour moi, la communication est un domaine vaste, immense, qui va du standardiste au PDG d’une entreprise, en passant par le coursier qui dépose les plis. On pense souvent que la communication se limite aux annonces qu’on voit dans la presse, aux belles campagnes. Disons que c’est beaucoup plus vaste que ça. Nous sommes tous communicateurs dans les domaines dans lesquels nous sommes.
En 27 ans d’existence de votre agence, comment le secteur et le métier ont-ils évolué ? Le métier a évolué sur différents aspects. A l’époque, on faisait les plans média à la main sur de grands tableaux. On nous imprimait ces plans avec de petites cases et des croix. Mais aujourd’hui, si vous dites à quelqu’un que vous faites un plan média à la main, il vous demandera sur quelle planète vous êtes. Les maquettes en création sont plus dynamiques et souvent animées, les stratégies commerciales sont plus chaleureuses. De nos jours, tout est programmé et géré par des logiciels. La vraie révolution pour moi dans la communication, c’est la révolution technologique.
Quels en sont les aspects les plus prometteurs pour l’économie ? Aujourd’hui, c’est le digital qui est vraiment l’avenir dans le monde de la communication Tout est digitalisé comme vous pouvez le voir. L’Afrique doit également s’y mettre et en la matière le top 3 est tenu par l’île Maurice, les Seychelles et l’Afrique du Sud, selon les données de l’Institut Universitaire des Technologies (IUT). Dans la zone ouest africaine, le Gabon est le 1er pays francophone intégrant le top 10 de ce classement avec sa 4G. Pour parler de la Côte d’ivoire, nous avons de bons scores en termes de pénétration de l’outil numérique et mobile mais de gros efforts restent à faire dans l’accessibilité et les coûts de connexion. Retenons cependant que le challenge se situe au niveau de professionnalisation du digital. Il va sans dire que l’entreprise ou l’agence qui veut se tourner vers l’avenir a forcément une unité digitale intégrée pour servir ses clients. Chez Océan Ogilvy, nous ne concevons aucune campagne sans y intégrer le volet digital. C’est un service intégré qui surprend agréablement et satisfait plusieurs de nos clients tellement les possibilités d’interactions avec le consommateur, de pénétration de niches et de nouveaux marchés y sont très poussées.
Existe-t-il des aspects sur lesquels nous sommes encore à la traine par rapport aux pays plus avancés ? Nous sommes en retard en termes de libéralisation de l’espace audiovisuel par rapport à l’Europe mais aussi par rapport à d’autres pays africains. C’est un projet qui est à la traine et qui aurait déjà dû être exécuté depuis longtemps. Il est temps que l’on passe à la libéralisation de l’espace audiovisuel parce que nous sommes réellement en retard dans ce domaine-là. Aux dernières nouvelles, je crois que les choses s’accélèrent.
Comment percevez-vous la place de l’image dans notre société actuelle ? Vous qui faites partie de la génération connectée aux réseaux sociaux Facebook, Twitter, Instagram, Google +, Pinterest, etc. c’est vous qui me demandez la place de l’image, alors là ! (rire). Il est vrai que l’image compte! Mais ce qui compte de plus en plus, c’est l’image la plus proche possible de la réalité. On veut que vous soyez celui que vous êtes en réalité et que ce que vous montrez corresponde à qui vous êtes. Si Facebook est le plus bel outil de partage, de découverte et retrouvailles, l’on doit faire attention à ce que l’on y poste car les dérives sont vite arrivées. Le non verrouillage des photos ou films partagés, permet de générer tout de suite un bad ou un good buzz. Les cas de photos postées innocemment et qui ont été récupérées à des fins de manipulation ou de propagande sont légions autant pour les marques, les institutions que pour les personnes physiques. Tout cela, c’est de l’image. Pour moi, il y a deux types d’images : l’image personnelle en tant que personne physique ou personne publique et l’image institutionnelle qui concerne une entreprise. Mais en fin de compte, elles se rejoignent. Que l’on soit une institution ou un individu, on doit travailler cette image dans le sens du vrai et du réel mais pas pour faire de l’artificiel, pour aller vers ce qu’on n’est pas. Si par exemple vous communiquez sur une marque et que vous lui faites dire ce qu’elle n’est pas, c’est sûr que cette marque est appelée à disparaître. Si vous mentez à votre public, il finira de toutes les manières par savoir. Il doit y avoir une adéquation entre ce que vous dites et ce que vous êtes réellement. David Ogilvy disait : « Ne prenez pas le consommateur pour un idiot, le consommateur, c’est votre épouse, votre enfant »