Jean Louis LASCOUX, Président de l’Ecole professionnelle de la médiation et de la négociation (EPMN


FORUM DES CHEFS D’ENTREPRISES


« La contribution de la médiation professionnelle en Côte d’Ivoire, c’est de participer à l’entente sociale »

 

M. Jean Louis LASCOUX est une personnalité qui fait autorité dans l’univers de la médiation professionnelle : il est le fondateur de cette discipline. En 1999, il créa l’Ecole professionnelle de la médiation et de la négociation de Bordeaux, l’un des rares établissements qui forment à ce métier. Il a également créé le CREISIR, le Centre de Recherche en Entente Interpersonnelle et Sociale et en Ingénierie Relationnelle, dont l’objectif est de faire des recherches approfondies sur tous les moyens pouvant permettre de développer l’entente interpersonnelle et l’entente sociale. Auteur de plusieurs ouvrages sur la médiation professionnelle et l’ingénierie relationnelle, M. LASCOUX nous fait découvrir dans cette interview l’immense trésor que représente cette discipline du 21ème siècle qui participe à la culture de l’altérité, de l’éthique et de la qualité relationnelle.

 

La « médiation professionnelle » est une pratique assez nouvelle sous nos tropiques. Que devrait-on comprendre à travers cette notion ?

Depuis longtemps, il existe différentes pratiques de la médiation. Dès lors qu’un tiers intervient entre des parties, on peut dire qu’il y a médiation. La « médiation professionnelle » est différente. Je l’ai initié entre 1999 et 2001. Elle est un « processus structuré », autant dans les entretiens individuels que dans les réunions. Elle est une instrumentation rationnelle qui permet au Médiateur Professionnel d’avoir un fil méthodologique pour accompagner la résolution des différends. Dans la suite de son développement, j’ai créé l’Ingénierie Relationnelle. Celle-ci rassemble les techniques d’intervention d’un médiateur professionnel, c’est-à-dire qu’il a acquis une technicité en ingénierie relationnelle. La médiation professionnelle est utile dans tous les domaines de la vie sociale. Elle vise en fait quelque chose qui est très différent du monde juridique, parce le droit vise spécialement le contrat en reposant sur la représentation du Contrat Social, tandis que la médiation professionnelle est une instrumentation qui repose sur un paradigme fondateur, celui de l’Entente et de l’Entente Sociale. C’est une approche d’accompagnement de la structuration de la pensée et de l’amélioration de la relation. Elle inscrit les difficultés relationnelles dans la perspective d’un projet, c’est ce qui fait une grande différence. En Médiation Professionnelle, on ne vise pas un accord, ou la « gestion » d’une situation difficile, mais l’élaboration, la continuité ou la rupture consensuelle d’un projet relationnel.

Beaucoup de managers et GRH, de par leur fonction, sont appelés à « gérer des conflits » dans leurs organisations. Est-ce normal pour eux de le faire sans s’être dotés des outils de la médiation professionnelle ?

De tout temps, je pense, comme je l’indiquais tout à l’heure, il a existé des médiateurs naturels. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous faisons la distinction entre la Médiation Professionnelle et les médiations naturelles. Ces dernières se caractérisent par l’intervention de tiers qui n’ont pas acquis les compétences en Ingénierie Relationnelle, mais qui se prédisposent à être sympathiques et bienveillants pour faire de la « gestion des conflits ». En revanche, ces personnes peuvent être attentives au fait que les mentalités ont évolué, car les individus sont devenus plus exigeants. On dirige de moins en moins maintenant comme on pouvait le faire au siècle dernier. La relation, c’est quelque chose qui se travaille comme on peut travailler l’amélioration des communications dans tous les domaines. Il y avait des choses qui étaient opérationnelles dans le passé parce qu’il n’existait pas de solutions de rechange. Ces problématiques sont également les mêmes dans les relations humaines. Il y a des pratiques qui sont devenues obsolètes et d’autres qui par contre sont devenues beaucoup plus opérationnelles avec la médiation. S’ils veulent parfaitement résoudre des conflits aujourd’hui, il s’avère donc crucial qu’ils fassent appel à des médiateurs professionnels c’est-à-dire des personnes en mesure d’introduire la Qualité Relationnelle au Travail (QRT).

N’est-ce pas également une invite pour eux à se faire former à la médiation professionnelle ?

Evidemment, des DRH formés à la médiation professionnelle feront preuve de plus d’habileté et d’agilité d’esprit à pouvoir identifier toutes les opportunités de mettre en place une médiation. La difficulté avec le DRH, c’est que ce poste n’est pas considéré en interne comme suffisamment distant de la Direction de l’entreprise pour pouvoir accompagner une quelconque médiation. Sinon cela peut être très intéressant qu’ils se dotent des outils de la médiation professionnelle afin de mieux exercer cette fonction hautement stratégique pour l’entreprise.

A l’inverse, le DRH peut rencontrer aussi des limites par rapport à certains conflits qui peuvent survenir par exemple dans son propre service, entre des collègues, entre des collaborateurs directs ou sur des thématiques particulières avec des représentants syndicaux, des partenaires sociaux ou même des clients. Dans ce genre de cas, il est plus adéquat de faire appel à une personne externe. Sinon, je pense globalement que les DRH sont un public prédestiné à acquérir des compétences plus performantes en matière de relations humaines. Et que l’ingénierie relationnelle leur est tout à fait destinée.

Quels peuvent être les réels avantages pour un DRH de se former à la médiation professionnelle ?

Une telle démarche va permettre aux entreprises d’intégrer un référentiel qualité relationnelle. C’est-à-dire qu’il va avoir une meilleure appropriation dans l’entreprise de tout ce qui risque de poser des difficultés entre les personnes et de tout ce qui favorise leur motivation. C’est une manière de travailler et de s’impliquer à tel point qu’on peut s’apercevoir qu’il y a moins d’absentéisme ou de présentéisme dans l’entreprise. L’entreprise est considérée comme un environnement de sociabilité. Très souvent cela a été oublié parce que l’on espérait que les salariés se soumettent, malgré eux, à des règles parfois jugées trop autoritaires au détriment des règles de base de la sociabilité. Aujourd’hui, avec l’évolution de la culture et des aspirations individuelles, cela devient de plus en plus important qu’il y ait une prise en compte des conditions de sociabilité. L’entreprise devient à ce titre un environnement de contributions au bien-être de tous ceux qui y participent. C’est le développement à la fois des personnes et de l’entreprise qui en est tout l’enjeu.

Y a-t-il un processus de résolution d’un conflit ?

Oui évidemment ! Sans que nous nous en rendions compte, le conflit déstructure la pensée et impacte d’une manière préjudiciable sur les relations. La Médiation Professionnelle permet d’intervenir sur cette perte inapparente de la Raison et d’outiller la maîtrise de l’expression. La Médiation Professionnelle impose au professionnel de conduire un processus très structuré qui se définit en deux temps principaux. En premier, les entretiens individuels et en second, les réunions. Le Médiateur Professionnel est un spécialiste de la conduite d’entretien et de l’animation de réunion dans une perspective qui est celle de l’Entente et de l’Entente Sociale. Très séquencé, le premier temps de la réunion est un processus qui permet à des personnes en conflit de mieux comprendre la situation dans laquelle elles sont. Car le conflit dénature à la fois la perception de la relation, la perception de l’environnement et parfois même dénature la perception que ces personnes ont d’elles-mêmes. Le médiateur professionnel permet donc à ses interlocuteurs de clarifier leur posture, leur perception et de structurer leur pensée en les aidant à définir un objectif clair. Parfois l’objectif peut se modifier au fur et à mesure. Mais à ce niveau, il faut que la position de chacun soit claire.  Le médiateur reçoit individuellement les personnes en conflit de façon à ce que chacun puisse préparer sa participation à la réunion. C’est parfois un véritable challenge. Il faut que les parties s’y préparent. C’est un véritable changement de posture par rapport aux habitudes et à tous les comportements de l’adversité. C’est un changement important. Il sollicite les fondamentaux de ce que nous nommons l’intelligence, avec la Raison comme instrument, alors que la dynamique conflictuelle utilise la raison pour se justifier. Dans le conflit, l’émotion prédomine, même dans les différends qui semblent les moins affectifs. Dans sa posture, le médiateur veiller à sur sa méthodologie, et à rester neutre, impartial, indépendant de toute forme d’autorité.

Dans un second temps, l’entretien impose un accompagnement sur deux thématiques notamment le bon déroulement de la médiation et son aboutissement dans les meilleures conditions possibles. C’est-à-dire qu’il fait en sorte que les réunions entre les parties se déroulent agréablement. Mais cela est aussi fondateur pour les parties qui retrouvent des repères de qualité relationnelle. Le tiers, dans cette démarche, dispose d’une méthodologie qui permet d’accompagner la mise en œuvre d’un projet relationnel.

Nous avions signifié tantôt que la médiation, et a fortiori la « médiation professionnelle » est encore méconnue sous nos tropiques. Qu’envisagez-vous donc comme actions afin de faire la promotion de cette discipline ?

Il existe en Côte d’Ivoire certaines structures avec qui nous nous collaborons déjà pour vulgariser cette discipline telles l’ASCAD, le Conseil constitutionnel, la Chambre de Commerce, etc. Nous communiquons en permanence sur la Médiation Professionnelle et l’Entente Sociale. Elle sera mieux connue. Cela ne saurait tarder.  Sinon il existe un réseau de Médiateurs Professionnels qui s’est constitué en Côte d’Ivoire. Actuellement, nous faisons une communication qui touche à peu près toute la société à savoir les rois, les chefs traditionnels, les ministères, etc. Ces actions ne se limiteront pas seulement à la Côte d’Ivoire puisque nous allons nous étendre bientôt sur le Togo, le Mali, le Cameroun etc.  pour répondre à toutes ces sollicitations. En cette année 2019, il y aura des formations qui seront initiées pour former des Médiateurs Professionnels et former également à des modules de « qualité relationnelle », notamment au Travail.

Pour avoir tâté le terrain, comment voyez-vous l’avenir de la médiation professionnelle en Côte d’Ivoire ?

Pour moi, l’Afrique, ce n’est pas un continent d’avenir. L’Afrique, c’est maintenant. Lorsque j’ai créé la médiation professionnelle en 1999, je n’imaginais pas que je viendrais un jour en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui avec 60 ans à mon compteur âge, j’espère bien ne pas avoir 80 ans lorsque nous aurons déployé la Médiation Professionnelle sur toute la francophonie et le monde anglophone. L’avenir de la Médiation Professionnelle en Côte d’Ivoire, c’est aussi de participer à l’Entente Sociale. Cela me semble être la contribution de la médiation professionnelle à l’entente sociale et ce n’est pas pour demain. Il faut agir maintenant. A travers cette initiative, nous voulons inciter tous les acteurs politiques à penser entente et non en termes de domination ou de soumission, ni de résignation. La Médiation Professionnelle a donc un rôle à jouer à la fois dans la vie économique mais aussi dans la vie sociale, l’éducation, la vie familiale, le système judiciaire et la vie politique. C’est la contribution très élargie de la Médiation Professionnelle en Côte d’Ivoire et sur l’ensemble de la sous-région. 


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