Jérôme Rotrou DG des Hôtels Adagio et Novotel Marcory (Groupe Accor)« On parle beaucoup de technique, mais le cœur de notre métier, c'est d'abord l'humain. »

Nous avons eu l'opportunité de rencontrer Jérôme Rotrou, Directeur Général des hôtels Adagio et Novotel Marcory à l'occasion de l'ouverture des deux nouveaux réceptifs hôtelier en Côte d'Ivoire. Lors de cet entretien exclusif, nous avons exploré le thème essentiel de la formation hôtelière dans le pays et la stratégie du Groupe Accor pour développer et former des talents locaux. M. Rotrou a partagé sa vision sur l'importance de la formation continue et des partenariats locaux pour renforcer l'industrie hôtelière ivoirienne. Entretien…

Bonjour, Monsieur le Directeur Général. Votre chaîne hôtelière s’agrandit avec l’ouverture de deux nouveaux complexes, Adagio et Novotel Marcory. À quoi répond ce besoin d’ouvrir de nouveaux hôtels alors qu’il y en a déjà des centaines sur le marché d’Abidjan ?

Effectivement, en examinant l'évolution du marché, il est vrai qu'il existe déjà une offre significative sur la destination, avec de nombreux hôtels, qu'ils soient de groupes ou indépendants, ainsi que d'autres marques, qu'elles soient internationales ou panafricaines. Cependant, il est important de noter que le marché d'Abidjan est en pleine expansion. Des perspectives d'avenir se dessinent à travers les projets d'infrastructures en cours et la volonté de l'État ivoirien de se positionner comme une destination à la fois d'affaires, grâce à ces projets, et de plus en plus comme une destination touristique.

Jusqu'à présent, et encore aujourd'hui, lorsque nous regardons nos ouvertures, nous continuons à nous positionner sur Abidjan, qui est la ville qui génère le plus d'activité économique dans le pays. Cependant, nous constatons qu'au-delà de cela, des destinations touristiques axées sur les loisirs vont se développer, soutenues par l'État et le ministère du Tourisme. En réalité, nous avons un marché en constante évolution, et Accor est déjà présent depuis de nombreuses années, continuant à voir le potentiel d'une destination comme la Côte d'Ivoire, qui représente un marché prometteur pour l'avenir. En parlant spécifiquement d'Abidjan, nous observons également des projets d'infrastructures, comme le parc des expositions récemment inauguré, qui, dans une perspective à long terme, attirera des événements d'envergure. Par exemple, les gestionnaires de centres de congrès soulignent souvent l'importance d'avoir une capacité hôtelière suffisante pour accueillir des événements majeurs.

Il y a aussi la question de la restauration. Lorsque vous avez plusieurs milliers, voire des dizaines de milliers de participants, il est crucial de pouvoir les accueillir et les restaurer. C'est toute cette dynamique qui est en train de se mettre en place ; demain, il y aura l'aéroport, les infrastructures routières, ainsi que les transports en commun, notamment avec la ligne de métro, qui contribueront au développement de la destination. En tant qu'acteurs hôteliers majeurs à l'international, nous devons être présents sur ces destinations et dans ces villes, mais également dans d'autres projets ailleurs. Nous devons agir en tant que pionniers et leaders de l'hôtellerie.

Vous évoquez l'extension, le développement, le talent… Ces termes impliquent nécessairement la formation. Pouvez-vous nous expliquer l'importance de la formation hôtelière pour le Groupe Accor, notamment en Côte d'Ivoire ?

Il y a plusieurs niveaux et axes à considérer. D'une part, il y a la formation technique liée aux métiers, qui est essentielle pour le service client. Cela inclut des domaines comme la cuisine, le service en salle, la restauration, le housekeeping, et tout ce qui concerne les services en chambre. C'est un axe fondamental de notre activité. D'autre part, il existe d'autres compétences qui peuvent se développer au fil du temps, tant sur des aspects spécifiques à nos systèmes que sur les standards propres à nos différentes marques. Nous mettons également l'accent sur les compétences managériales, car notre objectif est de contribuer au développement de nos collaborateurs.

Nous ne nous contentons pas d'apporter un soutien au travail quotidien, que j'appelle le basique, mais nous nous engageons également à travailler durablement avec une formation managériale et un accompagnement qui permettront aux collaborateurs les plus talentueux de se développer et d'acquérir des compétences managériales et organisationnelles, les préparant ainsi à des postes à responsabilité. Un autre aspect de plus en plus important pour nous, et pour toutes les entreprises dans le monde, est le développement durable, avec tout ce qui concerne l'écocertification. Nous avons développé des modules de formation, principalement en ligne, pour sensibiliser nos équipes à la réduction de notre impact environnemental et de nos émissions de carbone dans nos hôtels, quelle que soit la destination. Aujourd'hui, cela fait partie intégrante de nos priorités en matière de formation.

Quels sont les principaux défis que vous rencontrez dans la formation des talents en Côte d'Ivoire ?

Nous faisons face à une évolution de l'offre hôtelière, mais nous n'avons pas toujours les collaborateurs potentiels capables de répondre aux besoins. Bien qu'il y ait un nombre significatif de demandeurs d'emploi, nous constatons un manque de formation technique, notamment dans nos métiers. Par exemple, dans le secteur de la restauration ou de la cuisine, il existe quelques écoles, mais leur nombre reste limité.

Ainsi, nous nous retrouvons souvent avec des collaborateurs novices, que nous formons à partir de zéro, ce qui fait partie de notre mission. Cependant, pour certains postes nécessitant des compétences plus élevées, nous constatons que de nombreux candidats échangent entre restaurants ou hôtels, et la formation se fait souvent davantage par l'expérience en entreprise que par le biais d'écoles hôtelières. Cela représente un défi, car la formation ne se décrète pas et nécessite du temps ; c'est un processus qui se construit progressivement. De plus, nous devons garantir la constance dans la qualité de la formation que nous délivrons.

Un autre défi majeur concerne les compétences linguistiques, notamment la capacité à s'exprimer en anglais. Pour tout voyageur international séjournant dans un hôtel de marque internationale, il est inacceptable de ne pas trouver un collaborateur capable de communiquer en anglais, que ce soit en salle, au restaurant ou à la réception. C'est un domaine sur lequel nous travaillons activement. Nous collaborons avec des tiers, tant au niveau international que local, pour fournir une formation complémentaire, notamment en anglais, en utilisant des approches variées selon nos besoins.

Comment le Groupe Accor s'assure-t-il que ses programmes de formation sont adaptés aux besoins locaux ?

Le Groupe Accor est implanté dans presque une centaine de pays à travers le monde, avec des milliers d'hôtels. À ce titre, nous proposons de nombreux modules de formation adaptés à nos marques et à nos standards internationaux de service. Nous avons également des formations internes. Par exemple, pour l'ouverture du Novotel Marcory, nous mettons en place des formations sur le terrain, axées sur les compétences techniques de base, telles que l'ouverture d'une bouteille de vin, le service à la clientèle et le dressage des tables. Ces compétences de base sont essentielles. Ensuite, nous ajoutons des modules sur les compétences commerciales pour les personnes dédiées au service, afin qu'elles puissent bien connaître le menu et savoir comment le vendre aux clients.

Nous avons également des modules de développement axés sur le leadership et l'approche managériale. Comme tout groupe international structuré, nous effectuons chaque année des évaluations avec nos collaborateurs, où nous examinons à la fois nos attentes pour un poste donné et les possibilités d'évolution vers de nouvelles missions pour les collaborateurs les plus talentueux. Cet exercice nous permet de déterminer les besoins, qu'ils soient techniques ou managériaux, et cela inclut également du coaching.

Comment le Groupe Accor collabore-t-il avec les institutions locales pour améliorer la formation hôtelière ?

Bien qu'il n'existe pas encore de nombreux centres de formation, il semble que des initiatives soient en cours de développement. J'ai récemment eu des contacts avec l'Institut Vattel, qui prévoit d'ouvrir une antenne à Abidjan. Nous sommes déjà en discussion avec eux pour établir un partenariat visant à développer des formations, organiser des échanges et offrir des stages pour développer les compétences techniques et professionnelles nécessaires aux entreprises du secteur hôtelier et de la restauration. À plus long terme, ce partenariat pourrait également inclure des formations pour les futurs managers, comme cela se fait déjà à l'international.

Cela démontre que les différents acteurs ont compris qu'il existe déjà une offre hôtelière, mais qu'il y a encore un potentiel de développement. Pour accompagner cette évolution et relever les défis futurs, la formation est essentielle. C'est également un facteur de développement et une opportunité dans ce secteur d'activité. L'objectif de l'État ivoirien est que la contribution du tourisme au PIB atteigne environ 10 % d'ici quelques années. Ce secteur est clairement un générateur de richesses et un levier de développement social important.

Mais n'avez-vous pas de difficultés à recruter ? Comment se déroulent vos recrutements ?

Nous avons mis en place plusieurs axes pour le recrutement. Dans un premier temps, nous avons diffusé des annonces pour différents postes. Nous avons également mis un QR code affiché devant l'hôtel. Grâce à ces initiatives, nous avons reçu plusieurs milliers de candidatures, dépassant même les 5000. Aujourd'hui, bien qu'il y ait de nombreuses personnes en recherche d'emploi, beaucoup ne sont pas techniquement préparées. Nous avons également organisé des journées portes ouvertes.

Dire que nous avons des difficultés à recruter, dans le sens où nous cherchons des personnes déjà prêtes techniquement, est vrai. Les domaines les plus touchés sont principalement la cuisine et la restauration, surtout lorsque nous souhaitons offrir un service à la carte de qualité. Trouver des personnes expérimentées sur le marché est difficile, ce qui crée une certaine concurrence. La loi de l'offre et de la demande entre en jeu, et les niveaux de salaire sont également affectés par cette tension sur le marché.

Cependant, nous nous adaptons, car c'est une caractéristique de notre groupe. Nous avons aussi des candidats novices, et si nous percevons du potentiel chez eux, en termes d'attitude et de présentation, nous savons que nous pouvons les recruter et les former dans le temps, en leur enseignant les bases ainsi que nos standards de marque et l'utilisation de nos systèmes.

En France, par exemple, la problématique est que les entreprises ne trouvent même plus de personnes désireuses de travailler dans ce secteur. En Côte d'Ivoire, il y a beaucoup de candidats, mais malheureusement, tout le monde ne peut pas travailler dans notre domaine pour diverses raisons, telles que des problèmes de compétences ou un manque d'aptitude. Les métiers de service ne sont pas toujours évidents à appréhender. Travailler dans l'hôtellerie implique parfois de travailler très tôt le matin, tard le soir, ou même la nuit, et d'accepter des horaires flexibles en fonction de l'activité. Ce n'est pas donné à tout le monde.

De plus, dans notre secteur, nous faisons face à des fluctuations d'activité. Il peut y avoir des périodes de calme, suivies de pics d'activité où il faut être réactif et efficace, ce qui peut générer du stress. Tout le monde n'a pas la personnalité pour cela, préférant des emplois plus linéaires et moins stressants. Il est également important de porter un uniforme, ce qui ne plaît pas à tout le monde. Cependant, il est vrai que d'autres secteurs, comme le BTP, peuvent avoir des conditions de travail plus pénibles. La différence réside dans la standardisation des horaires et des journées de travail.

Quels sont vos objectifs à long terme pour la formation des talents dans vos nouveaux hôtels, notamment Adagio et Novotel Marcory ?

Nous recrutons à la fois des personnes sans compétences spécifiques et celles qui en ont déjà. Notre objectif est de développer les talents, du commis de salle au cadre supérieur. Nous offrons un accompagnement solide, et notre force en tant que Groupe Accor réside dans notre réseau. Lors de l'ouverture de nouveaux hôtels comme Adagio et Novotel Marcory, nous favorisons les mobilités entre nos établissements, car nous avons de nombreux talents. Parfois, un collaborateur ayant plusieurs années d'expérience dans l'entreprise aspire à de nouvelles responsabilités, mais il n'y a pas de postes disponibles dans son hôtel. Grâce à notre réseau, nous pouvons lui offrir des opportunités dans d'autres hôtels, ce qui nous permet de ne pas le perdre.

En réalité, il ne s’agit pas d’une perte, car nous savons que c'est un investissement. Dans ma carrière, chaque entreprise où j'ai travaillé a toujours investi dans la formation. Il est essentiel d'avoir de plus en plus de personnes formées et prêtes à assumer des responsabilités dans nos hôtels à l'avenir.

Comment intégrez-vous les avancées technologiques dans vos programmes de formation hôtelière ?

Nous avons des modules de formation internes développés par Accor. Pour les langues et les systèmes, nous faisons appel à des prestataires externes pour des formations sur site ou à distance. Nous utilisons des logiciels de réservation, de gestion et d'inventaire des chambres, avec des formations dispensées sur place.

Nous proposons des formations à distance via des plateformes comme Teams ou en visioconférences. Nous utilisons de nombreuses applications dans différents domaines, qu'il s'agisse d'applications métier, de e-commerce ou de programmes de fidélité. Nous avons des modules d'auto-évaluation et des interactions ludiques, ce qui permet d'intégrer les nouvelles technologies dans notre formation. Cela fait des années que nous travaillons sur la digitalisation, et nous avons intégré ces évolutions dans nos systèmes, notamment en nous orientant vers le cloud.

Nous avons développé des connaissances clients et une animation des réseaux sociaux, qui ont pris de l'ampleur ces dernières années. Nous disposons d'une plateforme dédiée qui gère une partie de la formation, avec différents modules techniques, de réception, de cuisine, de restauration, ainsi que des modules axés sur la commercialisation, la distribution et la sécurité.

Sur cette plateforme, nous gérons les évaluations et les plans de développement. Nous avons un système de plus en plus sophistiqué qui évolue dans le temps et qui permet d'accompagner nos collaborateurs dans leur développement, en tenant compte des compétences acquises et à acquérir.

Nous avons un nombre croissant d'outils. Par exemple, nous avons récemment eu une visioconférence où il a été question d'une nouvelle application pour notre programme de fidélité, qui va rassembler la partie commerciale et le programme de fidélité. Ce qui est intéressant, c'est qu'au-delà des modules de formation plus académiques, nous intégrons des éléments interactifs et ludiques, comme des quiz hebdomadaires.

Nous avons mis en place des formations linguistiques à distance, avec des intervenants du monde entier, ce qui permet d'enrichir les compétences linguistiques de nos collaborateurs. Chaque collaborateur a accès aux outils qui lui sont utiles, en fonction de son poste actuel ou de ses perspectives d'évolution.

Y a-t-il des opportunités de carrière spécifiques que vous offrez aux jeunes talents en Côte d'Ivoire ?

Il existe en permanence des opportunités. Nous recherchons des personnes ayant déjà des compétences, mais le secteur de l'hôtellerie et de la restauration est dynamique. Contrairement à mon expérience il y a vingt ans, où les carrières étaient souvent plus longues au sein d'une même entreprise, aujourd'hui, les personnes développent leurs compétences et se valorisent sur le marché, ce qui leur permet de trouver de meilleures opportunités.

Notre réseau d'hôtels offre régulièrement des opportunités aux nouveaux collaborateurs. Nous privilégions les promotions internes, mais il arrive parfois que nous n'ayons pas de candidats correspondant à nos besoins pour des postes à responsabilité. Cependant, lors de l'ouverture d'Adagio, la majorité des cadres que j'ai recrutés étaient des collaborateurs ayant évolué au sein de l'entreprise. Par exemple, une collaboratrice du Novotel Plateau est devenue chef de réception, et ma directrice financière était auparavant assistante du directeur financier du Sofitel Abidjan.

Il existe donc de nombreuses opportunités de développement et de postes, et il y en aura d'autres à l'avenir pour ceux qui évolueront au sein de notre établissement ou qui occuperont de nouvelles positions dans d'autres hôtels du groupe. Les opportunités sont nombreuses et variées.

Comment évaluez-vous l'impact de vos programmes de formation sur le développement économique local ?

Il est difficile de quantifier cet impact, mais nous contribuons à développer des compétences techniques, managériales et dans divers domaines. Plus nous offrons de compétences à nos collaborateurs, plus ils deviennent efficaces dans leur travail et se valorisent sur le marché de l'emploi. Cela leur ouvre des opportunités de carrière et améliore leurs ressources financières, ce qui contribue à la création de richesses pour le pays et a un impact sociétal positif.

Notre objectif est de faire en sorte que nos collaborateurs se développent, s'épanouissent au sein de nos hôtels et accèdent à davantage de responsabilités, car c'est cela notre véritable objectif.

Parlez-nous de votre politique de rétention des talents.

Nous développons divers outils de formation et offrons une certaine pérennité en termes d'emploi et de qualité de travail. Nous réalisons également des enquêtes régulières pour identifier les aspects à améliorer pour le confort quotidien de nos collaborateurs, au-delà de la rémunération. Nous proposons des avantages tels que des couvertures sociales et sanitaires, ainsi que des récompenses liées à l'atteinte d'objectifs qualitatifs et financiers.

Je souhaite également mentionner notre programme "Heartist", qui met l'accent sur l'attitude et notre volonté de fournir un service authentique à nos clients. Ce programme, qui existe depuis 7 ou 8 ans, insiste sur l'importance des relations humaines. Dans notre métier, bien que la technique soit essentielle, le cœur de notre activité reste l'humain.

Lors de nos recrutements, nous cherchons des collaborateurs qui possèdent déjà des compétences, mais nous prêtons également attention à leur comportement, leur sourire et leur bienveillance. Ces aspects sont cruciaux, car la relation humaine est au centre de notre métier. Bien que nous soyons tenus d'être efficaces, ce qui fait la différence entre deux hôtels, qu'ils soient de chaînes ou indépendants, ce sont les hommes et les femmes qui y travaillent, à travers leur attitude et leur capacité à créer des liens. C'est un aspect fondamental sur lequel nous travaillons et qui est essentiel pour nous.

 

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