« La RSE est l’avenir de la gestion des ressources humaines »

Juriste de formation, TIOTE Lassana est Docteur  en  Ressources Humaines et chercheur en GRH. Il capitalise 20 ans d’expériences dans  le  domaine, avec  un riche  parcours  de  gestionnaire des  RH. Depuis quelques années, ses recherches l’ont amené à s’intéresser de plus près à la RSE, la Responsabilité sociétale des entreprises. Une nouvelle passion qu’il vit à fond et qu’il aimerait voir s’imposer « naturellement » à tous. Entretien…

Vous  bénéficiez  d’un  riche  parcours  dans le domaine des RH, mais on vous sent désormais  de  plus  en  plus  tourné  vers la RSE. Dites-nous,  d’où vient cet amour pour la RSE ?

J’ai soutenu une thèse de doctorat sur les questions  d’équité et de fidélité. Et qui parle d’équité, dit naturellement RSE ; c’est un partage de richesses mais également de responsabilité. Une autre activité dans laquelle j’interviens et qui est en lien avec la RSE, c’est le Développement personnel et professionnel.

Dans mon entendement, une gestion responsable  fondée sur des valeurs humaines est une gestion qui permet l’épanouissement et l’éclosion des talents. La RSE est, dans ce sens, l’avenir de la gestion des ressources humaines ; c’est le socle de la GRH dans la mesure où elle traite du social en premier, puisque fondée sur l’humain.

 

Pour vous le spécialiste, qu’est-ce que  la RSE ?

« Responsabilité Sociale de l’Entreprise » est une translation ou une traduction un peu galvaudée de l’anglais « Corporate  social responsibility, CSR) ». C’est un  concept  né aux Etats-Unis après  la  seconde  guerre  mondiale,  comme une réponse du social dans un environnement capitaliste.   Dans   ce   contexte   anglo-saxon, de la « soft law » où l’on estime que la Loi ne prévoit  pas  tout  (ici, la jurisprudence   est  la source principale du Droit), il était impérieux de trouver une alternative de sorte que l’enrichissement de l’employeur puisse avoir un impact positif sur ses collaborateurs…  C’est en quelque sorte le bonheur partagé…

Dans   la   traduction   franco-française,    cela a donné la « Responsabilité sociale des entreprises » qui n’est pas la traduction fidèle de la « Corporate social responsibility, CSR). Dans ce sens, la France va matérialiser cette approche par la mise en place d’un instrument de mesure du domaine social dans l'entreprise. La loi 77-769 verra ainsi le jour le 12 juillet 1977 avec la mise en place de ce qu’on va appeler « Le bilan social ». Avec cette loi, les entreprises  de plus de 300 salariés se trouvaient  dans l’obligation de déposer un bilan social au même titre que le bilan financier. Vu sous cet angle, on pourrait assimiler la RSE à une loi.

Cependant,  il sied de relever qu’en dépit des nombreuses  approches  de définition, la RSE est globalement  retenue  comme  la prise en compte  « volontaire  » des  préoccupations sociales, environnementales et économiques par une organisation.  Cela concerne  d’abord le volet social avec les salariés, les familles des salariés et ceux qui vivent dans  l’entourage de l’entreprise. Ensuite, il y a le volet environnemental ; étant donné que toute organisation peut avoir un impact négatif sur son environnement naturel,  il est important de  réparer  les dégâts  engendrés  ou  de  les prévenir. Enfin, le volet économique concerne le fait que les richesses générées par l’activité puissent, d’une manière ou d’une autre, profiter à l’entourage de l’entreprise. C’est une gestion impliquant les parties prenantes, d’où la notion « sociétale » qui va au-delà du seul aspect « social ». Il est donc plus approprié de dire « responsabilité sociétale » en lieu et place de « responsabilité sociale ».

 

Pourquoi la RSE s’intéresse-elle uniquement à ces trois domaines, le social, l’environnement et l’économie ?

Sans être catégorique, on peut dire que ces trois  domaines constituent  le  socle  d’une société. En  effet,  en  mettant  ensemble le social, l’environnement et l’économie, nous avons là, les fondamentaux d’une société ; tous les autres éléments gravitent autour ou sont incorporés à l’une de ces trois entités couvertes par la RSE.

La RSE doit-elle être l’apanage de la DRH ou pensez-vous que les organisations doivent avoir une Direction RSE à l’instar des autres directions ?

La RSE est le domaine  de prédilection  des Gestionnaires  RH, parce  que  c’est la DRH qui  s’occupe avant  tout  du  volet social de l’entreprise. La RSE est, de ce fait, le socle même  de  la GRH. Le concept  de  la RSE prend,  de plus, de l’importance si bien que dans certaines  organisations,  nous avons de plus en plus des responsables RSE car, si une organisation veut accorder une attention particulière  à  la  RSE, il  serait  bien  de  la positionner  comme une entité à part entière. Le positionnement  d’une  activité  dans  un organigramme   dénote  de  l’importance que vous accordez à cette activité, en principe.

Pensez-vous que les organisations,  notamment africaines suivent cette tendance et quels sont véritablement les enjeux de la RSE pour elles ?

Malheureusement non, à partir du moment, où on a une RSE calquée sur un modèle occidental, elle sera encore longtemps considérée comme «  un luxe  » pour les organisations africaines. Pourtant, l’Afrique a une longue tradition  en matière de pratiques RSE. Quand  on prend  par exemple le volet social de la RSE, croyez-vous vraiment  que nous avons besoin d’aller aux Etats-Unis ou en France pour apprendre le social ou calquer leur manière de pratiquer  le social ? Pour la protection de l’environnement  par exemple, si nous prenons  l’agriculture, la chasse ou la pêche dans nos traditions et cultures, elles ne se pratiquaient pas de manière désordonnée. Il y avait des périodes et elles (pèche et chasse) se pratiquaient en communauté ou en groupe. On a longtemps utilisé la jachère et pas d’engrais chimiques encore moins des OGM dans l’agriculture. D’ailleurs, la quasi-totalité de ce qu’on pouvait  même  utiliser  comme instruments et ustensiles au quotidien étaient biodégradables (feuilles de plantes en lieu et place des ustensiles modernes en plastique et autres d’origine occidentale…) Toujours sur ce volet environnemental, nous  avons presque dans toutes  nos régions, des espaces sacrés (forêts, eaux…)  ; toutes choses qui participent efficacement à la protection de l’écosystème, une manière de faire perdurer  les différentes composantes de la nature. Si nous voulons de l’originalité dans la RSE, il faut s’inspirer de nos pratiques sociétales.

La RSE n’est pas une  pratique,  le fait pour toutes les entreprises de faire la même chose ; ce n’est pas du standard.  C’est d’ailleurs ce pourquoi  la norme ISO 26000 constitue  une norme de cadrage. Elle donne l’indication et les grandes orientations en matière  de RSE, sans imposer les actes à poser. Par exemple, une usine de cimenterie n’aura pas forcément le même plan RSE que MZK Group qui est dans la communication et l’évènementiel, parce qu’ils n’ont pas la même activité.

 Justement, comment peut-on évaluer la RSE d’une entreprise ?

La norme  ISO 26000 est un bon référentiel pour  retracer   les  domaines   d’intervention et ainsi mesurer la RSE de l’organisation. Ses axes d’intervention sont au nombre de sept

 (7) et  représentent le  cadrage  qui  permet l’évaluation de la RSE et  sa notation.  À la dimension  pays ou régionale, on trouve des chartes  RSE ou des normes  de cadrage que chacun  essaie de  définir  selon  ses réalités. Cette évaluation permet de retracer la manière dont une entreprise a intégré les principes de la RSE dans ses activités. C’est pourquoi, il faut déjà établir  les indicateurs  pour  la mesure, en maitrisant  les standards  et normes  en la matière  au niveau national  et international. Il faut, ensuite, instaurer  le dialogue avec les parties prenantes et procéder, enfin, à un audit des pratiques  RSE qui consiste à rassembler, analyser et examiner les informations  sur l’ensemble des services, produits,  activités et processus décisionnels de l'entreprise.

Les résultats de l'évaluation  RSE permettent de  comprendre  comment  l’entreprise est positionnée. On peut également utiliser ces résultats pour communiquer sur l’engagement de l’entreprise en  matière de RSE, avec  les parties prenantes.

Comment  entrevoyez-vous  l’avenir  de la RSE dans les entreprises africaines ?

Tant que nous continuerons à faire du formalisme ou du conformisme à l’occidental, nous  serons   moins   innovants   en  matière de   RSE !  Si   nous   mettons   la   question de l’intégration volontaire au centre  des préoccupations environnementales,  sociales et  économiques,  nous   ferons   de  la  RSE quelque chose de très naturel. Et c’est d’ailleurs ainsi que cela aurait dû être, quelque chose de naturel, de spontané.

Précisons  qu’il  est  peu  probable  qu’une  loi soit instaurée sur la RSE, autrement dit, cela rentrerait dans  le  domaine   du  Droit,  tout simplement avec  une  réprimande de  tout manquement. La RSE demeure avant tout un acte de volontariat. La notion de responsabilité dans la RSE est certes juridique (le respect des lois du pays), mais elle est avant tout et surtout une  responsabilité  morale.   C’est  pourquoi la  sanction   de  la  RSE n’est  pas  d’abord  la répression, mais plutôt une pression même si finalement, les conséquences pourraient être les mêmes (que la loi interdise à une entreprise de continuer à fonctionner ou que les consommateurs la boycottent, le résultat final peut être la cessation d’activité de l’entreprise). En somme,  nous n’avons  pas besoin  d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes pour faire de la RSE une priorité,  cela devrait aller de soi.

Votre mot de fin, Docteur…

Pour  nous  africains, il serait  intéressant  de puiser dans notre socle culturel pour mener des actions RSE.

Une anecdote à vous partager, pour terminer. J’ai eu l’occasion de dispenser un cours dans une prestigieuse école de commerce en plein cœur de Paris dont je tairai, volontairement, le nom. J’avais eu comme étudiants lors de ce cours, des DRH de grands groupes européens qui connaissaient  très peu sur l’Afrique et de ses réalités, mais ce sont eux qui ont pourtant la charge de définir la politique de la GRH et de la RSE de nos organisations. C’est donc logique que  nous  soyons  souvent  complètement  à côté de la plaque en matière de pratique RSE si nos gestionnaires sur place ne peuvent pas utiliser notre ancrage historique, social et culturel pour toucher et régler nos problèmes.

La RSE est pour moi, toute naturelle ; il faut puiser dans les éléments  de référence  et de différenciation de notre culture, de notre société et de notre histoire pour nous affirmer, voire nous imposer.

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