16-10-2025
Interviews

Lamine Koné, Président du Conseil d’Administration du Groupement Ivoirien du Bâtiment et des Travaux Publics (GIBTP) : Structurer, former, innover : les trois piliers de l’avenir du BTP ivoirien


Dans le vacarme des chantiers, au rythme des grues qui dessinent le ciel ivoirien, une force discrète mais décisive œuvre depuis près d’un siècle : le Groupement Ivoirien du Bâtiment et des Travaux Publics (GIBTP). À la croisée des routes, des ponts et des grands projets qui transforment le pays, la faîtière des entreprises du BTP fédère, accompagne et défend tout un secteur en constante effervescence. À la tête de son pilotage, Lamine KONE, Président de la faîtière, déroule pour RH Mag les coulisses d’un secteur stratégique : ses réussites, ses défis, l’urgence de former des talents et la promesse d’un BTP ivoirien durable, innovant et compétitif à l’horizon 2030.

Le GIBTP est un acteur historique du secteur BTP en Côte d’Ivoire. Pouvez-vous nous rappeler les origines et le rôle de cette organisation ?

Le Groupement Ivoirien du Bâtiment et des Travaux Publics (GIBTP) est l’organisation faîtière du secteur BTP en Côte d’Ivoire. Il a été fondé en 1934 sous l’appellation de Syndicat des Entrepreneurs et des Industriels de Côte d’Ivoire (SEICI). Son évolution au fil des décennies a reflété la transformation du tissu économique national et les mutations du secteur. En 1997, il adopte sa dénomination actuelle : GIBTP. Aujourd’hui, le GIBTP regroupe 83 entreprises adhérentes et une corporation de 50 PMEs, soit un total d’environ 133 entreprises opérant dans tous les sous-secteurs du BTP : entreprises de construction bâtiment et travaux publics, cimenteries, aciéries, producteurs d’agrégats, bureaux d’études et de contrôle, laboratoires, compagnies d’assurances spécialisées, concessionnaires d’engins, etc. Notre rôle est de fédérer, défendre et promouvoir les intérêts de la profession. Le GIBTP agit en tant qu’interlocuteur entre les entreprises et les pouvoirs publics, mais aussi en tant que catalyseur pour la formation, l’innovation, la régulation du secteur et la veille stratégique.

Comment expliquez-vous la dynamique actuelle du secteur BTP en Côte d’Ivoire ?

La vitalité du BTP ivoirien découle directement de la vision stratégique du gouvernement, qui a placé les infrastructures au cœur du développement national. Depuis une dizaine d’années, les politiques publiques ont largement favorisé les investissements dans les routes, les ponts, les logements sociaux, les infrastructures énergétiques et sanitaires. À travers le Plan National de Développement (PND) 2021-2025, l’État prévoit près de 60 000 milliards FCFA d’investissements, dont plus de 75°% mobilisés via le secteur privé. Avec 45 509 milliards FCFA déjà mobilisés à fin 2024, le secteur du BTP a bénéficié et continuera de bénéficier d’opportunités accrues pour soutenir le développement des infrastructures. Cela témoigne non seulement de la place centrale du secteur du BTP dans la croissance économique, mais aussi de la volonté d’en faire un véritable levier de transformation structurelle du pays. Conséquence directe : le secteur enregistre une croissance moyenne annuelle avoisinant les 10 %, une performance qui en fait l’un des moteurs les plus dynamiques de l’économie ivoirienne.


Quelles sont les principales difficultés que rencontrent vos membres et comment le GIBTP les accompagne-t-il ?

Les entreprises adhérentes au GIBTP rencontrent principalement trois catégories de défis.

La première concerne le capital humain. Il existe un réel déficit en main-d’œuvre qualifiée, tant en quantité qu’en qualité. Les entreprises peinent à recruter des profils techniques immédiatement opérationnels. Pour y remédier, le GIBTP pilote un projet de centre de formation technique et professionnelle à Gagnoa, en partenariat avec le Ministère de l’Enseignement Technique, de la Formation Professionnelle et de l’Apprentissage (METFPA). Ce centre, dont l’ouverture est prévue pour septembre 2025, proposera des formations sur des métiers en forte tension tels que : conducteur d’engins lourds, mécanicien, topographe-géomètre ou encore maçon VRD.

Deuxièmement, nous accompagnons la professionnalisation et la structuration des entreprises, en particulier les PME, à travers des sessions de formation sur la fiscalité, le droit, les normes de qualité, l’accessibilité au financement et l’assurance BTP, etc. Nous les aidons également à mieux se conformer aux exigences des appels d’offres, en renforçant leur organisation interne. Enfin, nous portons auprès des pouvoirs publics les revendications liées à la fiscalité, aux délais de paiement, et à l’accès aux marchés publics. Grâce à notre plaidoyer, le quota de 30°% des marchés publics est désormais réservé aux PME du secteur.

La formation est un levier stratégique pour le BTP. Comment le GIBTP agit-il pour améliorer l’adéquation formation-emploi ?

Nous agissons sur trois plans. D’abord, nous identifions régulièrement les besoins réels en compétences à travers des enquêtes auprès de nos membres. Ces résultats alimentent la création de programmes de formation, comme le centre de formation de Gagnoa mentionné plus haut. Ensuite, nous organisons des ateliers de renforcement de capacités à destination des cadres techniques des entreprises. Ces sessions courtes permettent de répondre à des problématiques précises (fiscalité, passation des marchés, réglementation environnementale, etc.). Enfin, nous sommes impliqués dans les instances pédagogiques de certaines écoles, notamment à l’INP-HB, et au sein du Conseil national des branches professionnelles (CNBP), où nous contribuons à l’actualisation des curricula de formation du BTP. L’objectif est de former des jeunes directement employables par les entreprises du secteur.

Le GIBTP s’engage également dans la promotion des métiers du BTP auprès des jeunes filles. Qu’en est-il ?

Effectivement. Depuis 2022, nous avons lancé une initiative visant à valoriser les métiers du BTP auprès des jeunes filles, souvent dissuadées par les stéréotypes entourant notre secteur. Des rencontres ont ainsi été organisées avec des lycéennes, des étudiantes et des professionnelles du BTP. L’objectif est clair : démontrer que le secteur ne se limite pas aux chantiers ou à des métiers physiques, mais qu’il offre également des carrières dans l’ingénierie, la gestion de projets, l’architecture, et bien d’autres domaines. Nous avons pour ambition d’encourager la mixité, de briser les préjugés, et de contribuer à une inclusion accrue des femmes dans l’ensemble des segments du secteur.

L’innovation technologique impacte profondément le secteur. Comment vos membres s’y préparent-ils ?

L’innovation est un enjeu clé pour la compétitivité du BTP. Nous constatons une montée en puissance de la digitalisation, notamment à travers des outils comme le Building Information Modeling (BIM), qui permet de visualiser et de suivre l’évolution d’un chantier en temps réel, en 3D. Certaines entreprises commencent également à utiliser des drones pour la topographie, des logiciels de suivi financier, et même des engins semi-automatisés. Toutefois, ces technologies demeurent peu accessibles aux PME, qui constituent la majorité du tissu économique. Notre rôle est d’assurer une veille technologique, d’organiser des sessions de sensibilisation, et d’encourager les synergies entre grandes entreprises et PME pour faciliter la montée en compétences technologiques.

En matière de développement durable, quelles sont les pratiques encouragées par le GIBTP ?

Le GIBTP promeut une approche responsable de la construction. Nos grandes entreprises membres disposent en général de services Qualité, Sécurité, Environnement bien structurés. Elles intègrent dans leurs pratiques les normes ISO, les Études d’impact environnemental et social (EIES), ainsi que des dispositifs stricts de sécurité sur les chantiers. Pour les PME, le défi est plus grand. Nous les aidons à intégrer progressivement les exigences de durabilité, notamment à travers des actions de formation, d’appui-conseil et de partage de bonnes pratiques. Le but est d’aboutir à une adoption généralisée des principes de la RSE, y compris au sein des petites structures. 


Quels sont les chantiers prioritaires du GIBTP dans sa relation avec les pouvoirs publics ?

Nos trois chantiers majeurs sont :

1. L’accès des PME aux marchés publics : plaidoyer afin d’augmenter le quota minimal de 30°% désormais acquis.

2. La fiscalité : nous militons pour un allègement de la pression fiscale (Impôts, CNPS, contrôles douaniers, etc.) ainsi que pour un espacement des contrôles pour donner de l’air aux entreprises.

3. Les délais de paiement de l’État : nous assurons la collecte des créances des entreprises auprès de l’État et de ses démembrements et engageons un dialogue avec les ministères concernés pour accélérer le règlement des paiements.

Par ailleurs, nous œuvrons à favoriser l’accès au financement, en partenariat avec des banques locales et des institutions telles que la BOAD ou le Fonds de Solidarité Africain.

Quels segments du BTP ivoirien sont, selon vous, les plus porteurs à l’horizon 2030 ?

Les travaux publics continueront de tirer la croissance : routes, échangeurs, infrastructures de transport urbain (métro, BRT). Ces projets nécessiteront également l’appui de l’industrie locale (cimenteries, carrières, aciéries), ce qui créera un effet d’entraînement. Par ailleurs, la construction durable, l’urbanisme intelligent, et la réhabilitation du bâti existant sont des tendances émergentes à surveiller de près.

Un dernier mot pour les jeunes et les entreprises qui aspirent à rejoindre le secteur ?

Le BTP est un secteur d’impact, un secteur de passion, et surtout un secteur d’avenir. Il offre des opportunités concrètes de participer à la transformation du pays, d’innover et de bâtir. Nous encourageons les jeunes, notamment les jeunes filles, à envisager les métiers du BTP comme des carrières nobles, porteuses et pleines d’avenir. Aux entreprises, nous disons : structurez vous, formez-vous, innovez. Le GIBTP est à vos côtés pour vous accompagner dans cette dynamique.