Se décrivant comme une femme africaine plurielle et internationale, il se trouve que Laetitia Gadegbeku épouse Ouattara est une personne fascinée de l’humain, de la complexité de ce que l’humain représente. « Voilà pourquoi j’aime tout ce qui touche à la sociologie, la psychologie… ». Personne très enjouée, en même temps très focus dans le travail où elle va très vite, Laetitia est une fonceuse car pour elle, « il n’y a pas de porte qu’on ne puisse pas ouvrir… ». Un caractère peu commun qui l’a conduite directement dans l’industrie minière alors que ni son profil, ni son parcours universitaire n’étaient taillés pour ce secteur d’activité. Aujourd’hui, elle est Directrice Pays et Vice-présidente du Groupement Professionnel de la Chambre des Mines de Côte d’Ivoire. Parcours édifiant à même d’inspirer plus d’un, notamment Wit Emploi qui l’a conviée dans le cadre de la 9ème édition des Meet ups – les 15 privilégiés pour partager son expérience et ses convictions en matière d’insertion professionnelle et d’entrepreneuriat. Nous l’y avons rencontrée et elle s’est prêtée à nos questions.
Parlez-nous de votre parcours…
Mon parcours secondaire commence et finit en Côte d’Ivoire, au Lycée Sainte Marie de Cocody. Je suis de la promo Ehimen Valè, les « Femmes de demain », Promotion 1997. À l’issue de mes études secondaires, j’ai entrepris des études en Administration des affaires au Maroc et au Canada où j’ai obtenu un bachelor en 2001 en Marketing et un MBA en 2003. Après mes études, j’ai travaillé au Canada dans des institutions financières à des postes de senior management pour ensuite revenir depuis 2010, en Côte d’Ivoire où je travaille dans le milieu diplomatique. Mon travail régulier et mon activité connexe me permettent de maintenir un équilibre entre mes deux personnalités. J’étais toutde même une élève assez brillante même si j’étais un peu dissipée (rire).
J’ai mené plusieurs activités extrascolaires. C’est un point que j’aimerais qu’on mentionne parce que ces activités permettent d’aller à la découverte de soi. La vie associative est une expérience qui développe l’être humain.
J’ai été présidente d’association d’élèves. J’ai également suivi un programme appelé ‘’Junior Achievement’’. J’ai été la première lauréate ivoirienne à ce concours qui m’a emmenée à représenter la Côte d’Ivoire et l’Afrique à la première conférence des entrepreneurs au Canada.
J’ai fait deux (2) ans dans un institut supérieur au Maroc avant d’aller au Canada où j’ai obtenu un bachelor en marketing et le MBA en International business.
Comment êtes-vous arrivés à Endeavour Mining ?
Bon je dirais peut-être que c’est le destin. Mon parcours universitaire n’était pas taillé pour travailler dans l’industrie minière. Quand j’ai obtenu mes diplômes, j’ai été embauchée dans une entreprise comme coordonnatrice de vente dans la province de Québec pendant deux ans et demi. J’y ai été débauchée par le plus grand groupe d’assurance pendant cinq ans. Et puis j’ai voulu rentrer en Côte d’Ivoire. J’atterris donc à l’ambassade du Canada en Côte d’Ivoire en étant Trade commissioner (conseiller commercial) du Canada pour la Côte d’Ivoire et Libéria. C’est seulement à cette fonction que je me suis frottée au secteur minier en accompagnant des compagnies minières installées en Côte d’Ivoire avec des actions de promotion d’investissement. Pour rappel, le Canada est le premier investisseur minier en Afrique.
Je faisais donc des présentations au secteur privé ivoirien, je participais à des conférences mondiales sur les mines. Pour le faire, il m’a fallu me documenter, me former et me mettre au top des réalités du secteur… Et je suis tombée amoureuse de ce secteur et j’ai pris la décision d’y travailler. C’est un peu comme un concours de circonstances qui m’a amenée dans le secteur des mines.
C’est un secteur qui est très peu connu et assez atypique contrairement aux industries et autres secteurs d’activités. Vous ne trouverez pas de mines dans Abidjan ou dans Bouaké ou Yamoussoukro, il faut se rendre dans les régions très reculées. C’est ce côté atypique qui correspond mieux à ma personnalité. Il n’y a pas beaucoup de fioritures dans le secteur minier, c’est du concret. C’est un secteur d’activité qui va très vite. Les mines travaillent 7jours sur 7, 24 heures sur 24. Il faut toujours être en mode solution à chaque fois parce qu’une ou deux minutes d’arrêt d’une usine entraîne une grosse incidence sur les états financiers. C’est un secteur qui bouge beaucoup. J’y suis depuis deux ans à temps plein et certainement depuis plus de dix ans indirectement.
En entrant dans ce secteur, aviez-vous des appréhensions ?
C’est un secteur dominé par les hommes. C’est très technique. « Est-ce que je ne serai pas bluffée par l’aspect technique ou géologique ? » J’avais plutôt des questionnements. Il n’y a pas d’appréhensions, on peut tout apprendre. Il n’y a pas beaucoup de choses qui me font peur. Je me suis préparée à y travailler en participant à des conférences, en développant un réseau de personnes pouvant me coacher. Cette préparation, je l’ai faite pratiquement pendant plus de huit (8) ans. Et noter qu’à un certain niveau de responsabilité, il n’y a pas que la compétence. Il y a aussi le réseau qui joue. C’est vraiment très important. Le réseau c’est quelqu’un qui peut porter votre CV, vous recommander ou encore appuyer votre candidature.
Pour beaucoup de postes à très haute responsabilité, on regarde le CV, mais il doit être apporté par quelqu’un qui doit vous recommander. Vous serez le plus compétent du monde mais si personne ne peut porter votre candidature et l’appuyer, vous ne pourrez pas accéder à certains postes. Dans mon cas par exemple, c’est le réseau que je me suis construit qui m’a amenée à ce niveau. D’abord, il a fallu une connaissance en interne pour me dire que le poste allait être vacant lors d’une rencontre à l’aéroport.
Ensuite le réseau que je me suis construit précédemment dans ma carrière notamment mes contacts lors des « Mining Indaba » a fait le reste… Je vous explique. J’ai organisé l’événement francophone le plus grand lors des « Mining Indaba » qui est la messe des miniers en Afrique du Sud. Chaque année, cet évènement réunit toute la crème de l’industrie minière mondiale en Afrique du Sud. Lors de ma première participation, j’ai eu l’impression que nos communautés francophones étaient un peu délaissées dans cet événement très anglophone. J’ai donc eu l’idée de créer une plateforme de discussions entre collègues francophones. J’ai demandé à l’ancien Premier ministre du Québec pour qui j’ai beaucoup d’admiration et de respect, mon mentor, de me servir de lui comme invité spécial. J’ai fait un kakémono avec son nom. Et j’ai invité le ministre Jean Claude Brou à y participer. Avec ces deux têtes d’affiche, l’événement a attiré des personnes d’une certaine qualité et d’un certain niveau. De trois ou quatre délégations africaines, nous sommes passés à plus d’une dizaine. Chaque année, je recevais des appels des délégations ministérielles de Madagascar, du Maroc, de Tunisie etc. Je me suis ainsi créé un réseau dans la communauté minière. Il y a des gens qui parlaient de moi comme une jeune ivoirienne dynamique lors des dîners auxquels mes patrons participaient. Et voilà comment tout cela a contribué à appuyer ma candidature de manière insidieuse. S’il y a deux CV sur la table d’un recruteur et que par exemple un ministre parle en bien de l’un des candidats lors d’un dîner, cela peut évidemment influencer le choix. Voilà un peu comment le réseau permet d’appuyer votre ascension professionnelle. Et donc je suis arrivée dans le secteur avec beaucoup de confiance mais aussi quelques questionnements comme je l’ai dit plus tôt…
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Finalement vous vous êtes imposées…
« Imposer », c’est un terme qui évoque la force à mon avis. Je dirais plutôt que mon travail m’a imposée. La nuance est importante (rire)…
…Et aujourd’hui vous êtes Directrice Pays et Vice-présidente du Groupement Professionnel de la Chambre des Mines, comment les hommes vous voient dans ce secteur qui est à priori un secteur d’hommes ?
Je crois que les hommes ne font pas de différence. La différence est plutôt visible dans les discussions. C’est vrai qu’au cours des réunions, il y aura une personne qui aura tendance à vous tirer la chaise parce que vous êtes une femme mais dans le travail, le fait que vous soyez femme est occulté, très sincèrement. J’ai participé à un séminaire sur le leadership féminin où j’ai affirmé qu’il y a un leadership tout court mais un leadership féminin, je n’y crois pas trop...
Vous avez dit que votre secteur est assez méconnu et dynamique, est-ce que vous parvenez à obtenir les profils pour vos postes ?
Je vais dire oui et non… Effectivement. C’est un secteur peu connu. Par conséquent, nous menons des actions en vue de sensibiliser les jeunes diplômés à embrasser des filières qui touchent les mines. Dans le secteur minier, il y a plus de 180 postes différents. Ce sont des fonctions de soutien qu’on dira généralistes à savoir la finance, les ressources humaines, la comptabilité, la gestion. Et il y a des filières typiques aux industries comme l’hygiène santé sécurité (HEC), la supply chain et tout ce qui est achat et fournitures etc. et il y a des fonctions typiques aux miniers notamment, les géologues, les ingénieurs miniers, les techniciens forages etc. La palette est très large. Il y a l’INPHB et des écoles privées qui forment des ingénieurs dans le minier. Il est vrai que pour certains métiers, nous avons recours à une expertise expatriée, ce qui est dommage à mon sens.
Au sein d’Endeavour Mining, nous faisons la promotion de l’employabilité locale, d’ailleurs nous mettons un point d’honneur à recruter plus d’Ivoiriens. Ce n’est pas toujours facile conventions avec le ministère de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle et le ministère de l’Education nationale. Avec le second, c’est en vue de déployer un programme d’alphabétisation qui va toucher 500 personnes issues des régions ou des communautés dans lesquelles nous exerçons. Cela va permettre à nos communautés d’augmenter leur employabilité. Et avec le ministère de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle, nous avons signé une convention qui permet de former 150 jeunes en plomberie, chaudronnerie, menuiserie etc. Nous avons également un programme de bourses afin de financer des étudiants ivoiriens qui ont des résultats excellents.
Qu’est-ce que vous pensez des actions de Wit Emploi ?
Ce sont des actions louables. Les plus jeunes n’ont pas beaucoup de repères, ils ont très peu d’exemples à qui se fier et s’identifier.
Il y a une partie de l’histoire du pays qui mettaient en lumière les gens qui flambaient l’argent mais qui n’avaient pas véritablement d’excellents parcours, des personnes qui ont réussi à avoir de l’argent de manière un peu facile. Ils ont misé sur l’arrivée et beaucoup de jeunes se sont dit plus tôt je gagne de l’argent, mieux c’est. Pourtant il y a un processus à suivre pour pouvoir réussir. Donc ce genre de plateforme permet de montrer aux jeunes qu’ils peuvent réussir par le travail, mieux, que la réussite n’est pas forcément associée à l’argent. Je vais vous raconter une anecdote ; je suis partie au Canada avec deux personnalités ivoiriennes. Nous avons donné une conférence dans une université où il y avait des étudiants en MBA. Une des personnalités expliquait avec beaucoup de fierté la réussite qui se résumait à gagner beaucoup d’argent, encore et encore. Et les étudiants canadiens la regardaient d’un air étonné, surpris de voir une personne annoncer qu’elle avait réussi parce qu’elle avait beaucoup d’argent. Pour ces étudiants, réussir voulait dire travailler pour des ONG et faire du bénévolat. Pour eux, la réussite, c’est pouvoir contribuer au développement de quelque chose. Leur objectif ultime n’est pas de gagner de l’argent mais d’être épanoui. Lorsqu’on fait quelque chose avec passion, généralement on est toujours heureux. Donc ce sont des encouragements que je voudrais souhaiter à Wit Emploi pour son engagement à travers la valorisation des valeurs de l’effort juste et du travail à travers des modèles et des exemples pour les plus jeunes.