Compliance Officer en charge de l’éthique, de la conformité et de la bonne gouvernance en entreprise, Patricia Senghor est en fonction au Groupe Orange Côte d’Ivoire depuis 2018. RH Mag est allé à sa rencontre pour parler de cette fonction de la vérification de la conformité très peu connue, mais dont l’importance indéniable dans la performance des organisations, va la hisser bientôt sous la rampe des projecteurs.
Bonjour
Mme Senghor, vous êtes compliance Officer chez Orange Côte d’Ivoire, quelles
sont vos attributions à ce poste ? Cette fonction existe-t-elle au sein de
toutes les filiales du Groupe Orange Côte d’Ivoire ?
Je suis responsable de la mise en œuvre opérationnelle
du programme de conformité éthique & anticorruption sur le cluster Orange
Côte d’Ivoire, lequel couvre naturellement les filiales du Groupe en Côte
d’Ivoire mais également celles du Libéria et du Burkina Faso pour lesquelles
j’interviens en tant que coordinatrice. Au sein du Groupe Orange, nous parlons
de conformité depuis 2012. La démarche compliance et éthique est présente dans toutes les filiales du groupe où nous avons une fonction de
conformité. Il s’agit en fait pour des entreprises comme les nôtres de déployer
des dispositifs préventifs d’actes attentatoires à la probité ;
dispositifs permettant d’éviter une non-conformité aux lois et règlements mais
également aux règles et procédures internes aux entreprises. Autrement dit, lorsque ces programmes sont mis en place,
ils permettent de se prémunir des risques business-financiers et
réputationnels.
En conclusion, le compliance officer
est le garant de la probité et de l’intégrité de l’entreprise et dans
l’entreprise. Il lutte notamment contre la corruption, les délits et crimes
financiers et économiques au côté d’autres fonctions tel que le Risk Manager,
contrôleurs et auditeurs internes et externes.
Mes attributions à Orange CI couvrent le risque de corruption et autres
manquements éthiques.
Mon positionnement à Orange CI résulte de la mise en œuvre de la loi française du 9 décembre 2016
relative à la transparence, à la lutte contre
la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin II ». Cette loi impose à notre groupe ainsi
qu’à ses filiales le déploiement de huit (8) mesures de prévention de la
corruption que sont :
- Un code de conduite anticorruption définissant et illustrant
les différents types de conduites « les différents types de comportements à
proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou
de trafic d’influence » ;
-
Un
dispositif d’alerte interne destiné à recueillir les signalements des employés
relatifs à des situations ou conduites contraire au code de conduite ;
-
Une
cartographie des risques destinée à identifier, évaluer et hiérarchiser les
risques de corruption auxquels la société est exposée ;
-
Des
procédures d’évaluation des tiers avec lesquels l’entreprise entretient des
relations (clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires) au regard
de la cartographie des risques ;
-
Des
procédures de contrôles comptables, internes ou externes, destinées à s’assurer
que la comptabilité de l’entreprise ne masque pas des opérations en lien avec
des faits de corruption ou de trafic d’influence ;
-
Un
dispositif de formation destiné au personnel le plus exposé aux risques de
corruption et de trafic d’influence ;
-
Un
régime disciplinaire afin de sanctionner les employés qui ne respectent pas le
code de conduite anticorruption de l’entreprise ;
-
Un
dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre.
Le dispositif anticorruption est donc déployé autour de 3
grands axes : la prévention (formation, évaluation des tiers, code de
conduite), la détection (le dispositif d’alerte, les contrôles internes et
comptables) et la remédiation (mise en place de mesures correctives et de
sanctions disciplinaires en cas de non-respect du code de conduite
anticorruption).
A côté de cette conformité à la loi Sapin II, je veille
également à notre conformité aux dispositions légales et réglementaires
ivoiriennes en matière de corruption et à nos règles et procédures internes
(code de conduite anti-corruption, charte d’éthique et de déontologie,
politique cadeaux, politique relative aux conflits d’intérêts, etc.).
Au
cours de la table ronde sur l’éthique et les bonnes pratiques de gouvernance en
entreprise initiée à Abidjan le 11 octobre dernier, il a été rappelé que
l’implémentation des processus de conformité est coûteuse ; à qui s’adressent
les politiques de conformité ? Y-a-t-il des secteurs épargnés des questions
d’éthique et de compliance ?
Compte tenu de l’actualité économique en cours, notamment
les poursuites judiciaires à l’international, je dirai que tous les secteurs
sont concernés par cette obligation de mettre en place un programme de
prévention de la corruption.
Pour exemple, les entreprises qui ont été sanctionnées aux
USA en 2016 à hauteur de 2,5 milliards de dollars pour avoir enfreint la loi
fédérale américaine de 1977, le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), relative
à la lutte contre la corruption.
Aujourd’hui, les clients souhaitent Interagir avec des
entreprises et des opérateurs qui sont intègres et engagés dans la bonne
gouvernance. Les partenaires demandent
également que vous remplissiez des conditions
préalables de bonne conformité pour souscrire à leurs appels d’offres.
Aujourd’hui, dans presque tous les pays développés, vous avez des législations
à l’instar de Sapin II en France.
Nous sommes véritablement passés d’un « droit
mou » où nous étions plutôt sur l’éthique avec des valeurs et des
principes de bonne gouvernance édictés en la matière, à un « droit
coercitif » avec des textes légaux et réglementaires pour
« empêcher » des actes de manquements à l’éthique. L’ensemble des
secteurs est donc engagé dans ce processus qui de plus en plus prend forme dans
les différentes organisations. Pour le moment, les entreprises que nous avons,
sont des structures d’envergure internationale ; ce ne sont pratiquement
que de grands groupes comme le nôtre.
Ce dispositif anticorruption conformément aux 8 piliers de la
loi Sapin II est effectivement couteux mais il permet aux assujettis de se
hisser aux plus hauts standards internationaux en matière de lutte contre la
corruption et constitue indéniablement un levier de performance sur le long
terme.
Est-ce
que le nombre d’employés au sein de l’entreprise influence la nécessité de
recourir à une politique de compliance ? Ou quels sont les facteurs qui
influencent l’orientation vers une politique de conformité ?
La mise en œuvre d’une politique de compliance n’est pas
forcément liée à l’effectif salarié dans une entreprise. Il s’agit
principalement de rappeler aux salariés la nécessité d’opérer en conformité
avec les lois et règlements ainsi que nos règles internes et de contrôler cette
conformité.
Cependant, dans le cas de la loi Sapin II, une condition
d’application de cette dernière est relative au nombre de salariés.
Le champs d’application de la loi comprend :
●
les sociétés ayant au
moins 500 salariés et réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions
€
●
Les
sociétés (ou les EPIC) appartenant à un groupe, dont la maison
mère a son siège social en France, dont l’effectif comprend au moins 500
salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions €
En Côte d’Ivoire, un projet de décret portant Obligation de
mise en conformité est actuellement en cours de discussion sous l’impulsion du
Ministère de la Promotion de la Bonne Gouvernance et de la Lutte contre la
Corruption. Il devrait s’appliquer à toutes les entités publiques et privées du pays et intègrerait une condition relative à un chiffre d'affaires à
réaliser a minima mais aucune disposition relative au nombre de salariés. Cela
pourrait évoluer bien sûr au cours des discussions entre les acteurs
économiques du pays.
En
matière de corruption, en Afrique, c’est très souvent la sphère publique qui
est pointée du doigt. Que dire sur ce sujet concernant les activités du secteur
privé ?
Je dirais qu’il est difficile de n’indexer que le secteur
public parce que ce secteur est aussi fortement influencé par le privé. Nous le voyons au
niveau de l’actualité où les poursuites pour fait de corruption avec des
amendes spectaculaires à clé sont dans le secteur privé. Ainsi, le secteur
public n’a pas le monopole des faits de corruption et de mauvaise gouvernance.
Mais, je pourrais ajouter que le secteur privé a la possibilité, en interne, de
se fixer des règles qui seront encore plus contraignantes en matière de
corruption en dehors même de celles fixées par les gouvernants.
Il faut reconnaître qu’en Côte d’Ivoire, il y a de très
belles choses qui sont faites pour améliorer le climat d’affaire, notamment en
matière de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption. Nous en voulant
pour preuve tout l’arsenal juridique déployé, la création d’un ministère dédié
aux questions de Bonne gouvernance et de lutte contre la corruption. En ce
sens, une plateforme de Système de détection et de Prévention des Actes de
corruption et des Infractions Assimilées dénommée « SPACIA » a été
mise en place par les autorités. Elle permet et promeut la participation
citoyenne à la lutte contre la corruption. Pour exemple, plus de 400
signalements ont été enregistrés par la Plateforme ;
A Orange CI, nous travaillons sur notre écosystème interne
mais également externe. Nous ne travaillons pas avec des entreprises « non
compliantes » car il est de notre responsabilité, en tant qu’opérateur
digital engagé, d’impacter positivement notre écosystème et d’amener les
organisations avec lesquelles nous travaillons au même niveau de standard dans
la lutte contre la corruption. Évidemment, en terme de sanction pour violation
de notre Code de conduite, nous ne pouvons agir qu’au sein de notre entreprise.
Ces sanctions vont de l’avertissement au licenciement. Les sanctions au niveau
du public sont régies par les textes en vigueur au niveau de la loi. Ces
derniers encadrent bien entendu nos textes en interne.
De ma position, je veille à ce qu'il y ait un dialogue entre nous et le
secteur public. Nous saisissons l’occasion de nos Journées annuelles de
l’Ethique & de la Compliance pour inviter nos partenaires du secteur public
ainsi que ceux du privé pour échanger sur les bonnes pratiques.
Le
digital est-il un plus dans l’implémentation d’un tel processus ?
Le digital nous aide énormément en termes d’efficacité. Il
nous facilite le travail à divers niveaux, aussi bien pour mes équipes que pour
les collaborateurs de l’entreprise avec lesquels nous sommes en interaction.
Notre dispositif anti-corruption prévoit, par exemple, une
plateforme de signalement en ligne de toute atteinte à la probité. Elle est
dénommée « Hello Ethics » et ouverte à tous les collaborateurs du
Groupe Orange ainsi qu’aux parties-prenantes externes. Tout ceci est évidemment
digitalisé et permet de respecter l’anonymat éventuelle du lanceur d’alerte, la
confidentialité du signalement et surtout cela permet d’aller vite en terme de
traitement.
Dans
quelle mesure le Groupe Orange donne-t-il l’exemple en termes d’éthique
comportementale et de conformité ?
Déjà
par l’organisation de la journée de compliance au sein de toutes les filiales
du Groupe dans le monde. Elle est portée à la connaissance de nos parties
prenantes à l’externe. Orange CI est aujourd’hui le premier opérateur dans le
secteur télécom ; alors forcément nous devons donner l’exemple et être
exemplaire, nous en sommes conscients. Voilà pourquoi nous avons de vrais
exigences en matière de lutte contre la corruption, de rappel des règles
éthiques etc. Tout cela évidemment rentre dans notre politique RSE à laquelle
nous attachons beaucoup d’importance.
Pour finir, je dirais que la corruption c’est une affaire de
tous, ce n’est pas qu’un seul secteur mais tous les secteurs et c’est ensemble
que nous pourrons l’éradiquer.
Interview réalisée par
Alexis Kacou Bi