Services financiers mobiles et lutte contre la pauvrété en Afrique: le cas de l’Union des Comores

Mobile financial services and sustainable poverty reduction in Africa: a case study of the Union of Comoros (UdC)

Atta Gervais, Dosso Mafini, Kabran Eric

1. Theme (problem, current understanding, research question)

Le développement et la diffusion d’innovations financières ont ravivé les programmes pro-pauvres, en rendant accessible une gamme plus large de services financiers auprès de populations traditionnellement exclues du système formel (Word Bank, 2012 ; Blog World Bank[1]). La monnaie mobile est un moyen numérique d’échange et de stockage de valeur par le biais de compte d’argent mobile, indépendant du réseau bancaire traditionnel. L’argent mobile est une innovation financière qui permet aux utilisateurs d’épargner, de transférer des fonds et d’effectuer des transactions électroniques de biens et de services par le biais du téléphone mobile. La banque mobile quant à elle s’appuie sur l’utilisation d’applications sur le téléphone mobile et permet l’accès et l’exécution de services bancaires. (Financial Access Survey, IMF).

Les impacts des SFM sur la réduction de la pauvreté ont fait l’objet d’une littérature de plus en plus florissante. Les forts taux de pénétration du téléphone mobile, notamment dans les pays en développement et en Afrique sub-Saharienne, ont motivé la réalisation de travaux dédiées. En effet, les estimations de GSMA recensent près de 495 millions d’abonnés aux services mobiles en Afrique subsaharienne, soit 46% de la population de la région (GSMA, 2021). Plusieurs études récentes confirment les impacts positifs, directs ou indirects, des SFM sur la réduction de la pauvreté en Afrique, notamment en relation avec les disparités de revenus, l’emploi, la sécurité alimentaire (Wieser et al., 2019 ; Asongu, 2018 ; Asongu et Odhiambo, 2017 ; Aker et al., 2016), la consommation, la résistance des ménages aux chocs climatiques (Riley, 2018 ; Munyegera et Matsumoto,  2016, Jack et Suri, 2014), la capacité à échapper à l’extrême pauvreté, la résilience des groupes vulnérables, le bien être (Danquah et Iddrisu, 2018, Suri et Jack, 2016 ) ou encore l’atténuation des contraintes de crédit (Kikulwe et al., 2014). Cependant, l’inclusion financière n’est pas toujours bénéfique pour les populations pauvres et l’utilisation de l’argent mobile est associée à des risques multiples, qui affectent très souvent les populations les plus vulnérables ou ayant des niveaux faibles de culture numérique (CGAP, 2017 ; Raphael, 2016 ; Ndri et Kaninaka, 2020). A cela s’ajoutent la fracture numérique, qui peut entraver la réalisation des avantages de l’argent mobile en matière de réduction de la pauvreté, et les risques liés à l’imperfection des systèmes de crédit et financiers (Song et al., 2020 ; Bateman et al., 2019 ; Neaime et Gaysset, 2018).

Ainsi, il demeure nécessaire d’examiner l’impact des SFM sur la pauvreté dans différents contextes et phases de développement. D’une part, il convient d’améliorer la pertinence et la qualité des données afin de mieux appréhender les relations de cause à effet, et d’autre part de mieux comprendre les spécificités régionales. Notre travail s’inscrit dans cette perspective et s’attèle à fournir une première évaluation de l’impact de l’adoption des services financiers mobiles sur la pauvreté dans l’Union des Comores (UdC). Notre question de recherche est formulée comme il suit : Quels sont les impacts de l’adoption des services financiers mobiles sur une atténuation durable de la pauvreté dans l’Union des Comores ?

Cette question est d’autant plus pertinente que l’UdC demeure parmi les états les plus vulnérables aux chocs de natures diverses, comme l’illustrent les crises économiques et climatiques récentes. Par ailleurs, les Comoriens forment une des diasporas les plus larges d’Afrique et le pays est un des trois principaux destinataires des envois de fonds vers l’Afrique sub-saharienne. Enfin, le secteur financier local est peu profond et peu développé́ et, l’argent mobile est très peu répandu, inscrivant ainsi l’archipel à contre-courant des tendances observées dans les pays Africains.    

 2. Méthode

Notre travail exploite les données d’une enquête menée sur le terrain par deux auteurs du présent article. L’enquête couvre 310 ménages comoriens vivant dans les trois iles de l’archipel, soient la Grande Comores, Anjouan et Mohéli. L’échantillonnage non-aléatoire est effectué selon la méthode des quotas, qui s’appuie sur les critères tels que le sexe et les tranches d’âges, afin de sélectionner un échantillon possédant une structure semblable à la population de l’UdC.

Nous adoptons une approche de la pauvreté par un seuil minimum de revenu qui est de KMF 75 000 (soit 150 €) pour caractériser les ménages pauvres en dessous du seuil de pauvreté. 

Pour ce faire, cette étude s’inspire des travaux de Li, Zhang et Liao (2022) qui examinent l’impact du paiement mobile sur la pauvreté des ménages et le mécanisme d’action en utilisant les données de la micro-enquête China Household Finance Survey (CHFS) en 2017. Dans cette étude, les auteurs retiennent la modélisation suivante :


Dans cette équation, VEP i indique que le ménage i est un ménage pauvre et vulnérable ; sinon, 0. β0  indique le terme constant . β1 et β2 indiquent les coefficients de chaque variable. Le paiement mobile est la variable explicative centrale de ce modèle, qui indique une valeur de 1 si le ménage utilise des paiements mobiles ; sinon, 0. X i indique la variable de contrôle. ε i est le terme d’erreur aléatoire et ε i ∼ N (0,

σ2) ). Compte tenu de la nature de la variable dépendante, l’estimation probit est choisie dans cette analyse. A partir du modèle de ces auteurs, nous spécifions notre modèle économétrique comme suit :

Statu_social i désigne le statut social du ménage i.. Cette variable binaire prend la valeur 1 si le ménage est pauvre et 0 si le ménage est non pauvre. Le  SFM désigne les services financiers mobiles. C’est une variable dichotomique qui prend la valeur 1 si le ménage utilise les services financiers mobiles et 0 sinon. Taille est le nombre total des membres du ménage. Age est l’âge du ménage au dernier anniversaire. Genre désigne le sexe du ménage et prend la valeur 1 s’il est de sexe masculin et 0 s’il est de sexe féminin. Sit_Matri représente la situation matrimoniale du ménage. Il prend la valeur 1 si le ménage est marié et 0 s’il est célibataire. Emploi désigne la catégorie professionnelle du ménage. Il prend la valeur si le ménage est un cadre et 0 si le ménage est un ouvrier. Milieu_Resid est le milieu de résidence du ménage. Cette variable prend la valeur 1 si le ménage vit en zone urbaine et 0 si le ménage vit en zone rurale. LRemittances représente le logarithme naturel des transferts de fonds de migrant reçu par les ménages. i et ε désignent respectivement les ménages et les termes de l’erreur.

3. Résultats

L’UdC compte près de 869.595 habitants (Banque Mondiale), dont près de 45% vivent en dessous du seuil de pauvreté. Entre 2019 et 2021, la valeur des transactions en argent mobile y est passée de 0,04% à 0,30% du PIB et les points de vente associés ont augmenté de 11 points à 34 points pour 1000 km2. (Financial Access Survey, IMF). Selon les résultats de l’estimation, l’utilisation des services financiers mobiles fait baisser la probabilité qu’un ménage soit pauvre au seuil de 5%. De même, le statut de marié fait baisser la probabilité qu’un ménage soit pauvre aux Comores au seuil de 1%. En outre, les ménages résidants dans les zones urbaine ont moins de chance d’être pauvre selon les résultats de l’estimation. Enfin, les transferts de fonds de migrants fait baisser la probabilité qu’un ménage soit pauvre aux Comores.


4. Contribution et implications pratiques

Les travaux antérieurs soulignent l’importance des recherches futures qui permettraient d’enrichir à la fois les données sur l’adoption des SFM dans les pays en développement et les moins avancés, dont l’Afrique sub-Saharienne. De plus, l’argent mobile, qui a été introduit il y a moins de cinq années, est en phase d’émergence dans l’UdC. Les tendances observées aux Comores permettraient ainsi d’accroitre les connaissances actuelles, notamment dans les contextes d’évolution mitigée des SFM (le cas de l’UdC), tout en mettant en lumière les implications spécifiques régionales de l’impact des SFM.       

Les implications de ce travail sont doubles d’un point de vue pratique. D’une part, ils sont pertinents pour éclairer les programmes nationaux actuels ciblant la réduction de la pauvreté et de la vulnérabilité des ménages Comoriens par le biais de la digitalisation. D’autre part, il ouvre la voie à l’adaptation des stratégies d’inclusion financière basées sur le soutien au développement de l’argent et de la banque mobiles.    

REFERENCES

Aker, J. C., Boumnijel, R., McClelland, A., & Tierney, N. 2016. Payment mechanisms and antipoverty programs: Evidence from a mobile money cash transfer experiment in Niger. Economic Development and Cultural Change, 65(1), 1-37.

Asongu, S. A., & Odhiambo, N. M. 2017. Mobile banking usage, quality of growth, inequality and poverty in developing countries. Information Development, 35(2), 303-318.

Asongu, S., & Asongu, N. 2018. The comparative exploration of mobile money services in inclusive development. International journal of social economics.

Bateman, M., Duvendack M. and Loubere N. 2019. Is fin-tech the new panacea for poverty alleviation and local development? Contesting Suri and Jack’s M-Pesa findings published in Science, Review of African Political Economy, 46:161, 480-495, DOI: 10.1080/03056244.2019.1614552

Consultative Group to Assist the Poor (CGAP). (2017). Fraud in mobile financial services (CGAP technical report).

Danquah and Iddrisu, 2018. Access to mobile phones and the wellbeing of non-farm enterprise households: Evidence from Ghana. http://ugspace.ug.edu.gh/handle/123456789/31144

GSMA (2021). The Mobile Economy Sub-Saharan Africa 2021.

IMF, Financial Assessment Survey: https://data.imf.org/?sk=E5DCAB7E-A5CA-4892-A6EA-598B5463A34C&sId=1460043522778

Jack, W., & Suri, T. (2014). Risk sharing and transactions costs: Evidence from Kenya's mobile money revolution. American Economic Review, 104(1), 183-223.

Kikulwe, E. M., Fischer, E., & Qaim, M. (2014). Mobile money, smallholder farmers, and household welfare in Kenya. PloS one, 9(10), e109804.

Munyegera, G. K., & Matsumoto, T. (2016). Mobile money, remittances, and household welfare: Panel evidence from rural Uganda. World Development, 79, 127-137.

Neaime, S., & Gaysset, I. (2018). Financial inclusion and stability in MENA: Evidence from poverty and inequality. Finance Research Letters, 24, 230-237.

N'dri, Lasme Mathieu and Kakinaka Makoto. 2020. Financial inclusion, mobile money, and individual welfare: The case of Burkina Faso, Telecommunications Policy, Volume 44(3), 101926, https://doi.org/10.1016/j.telpol.2020.101926.

Riley, E. (2018). Mobile money and risk sharing against village shocks. Journal of Development Economics, 135, 43-58.

Song Yee Leng, Ameen Talib, Ardi Gunardi. 2018. Financial Technologies: A Note on Mobile Payment.

Suri, T., & Jack, W. (2016). The long-run poverty and gender impacts of mobile money. Science, 354(6317), 1288-1292.

Wieser, C., Bruhn, M., Kinzinger, J. P., Ruckteschler, C. S., & Heitmann, S. (2019). The impact of mobile money on poor rural households: Experimental evidence from Uganda. World Bank Policy Research Working Paper, (8913).

World Bank, 2018. Union of Comoros - Comoros Poverty Assessment. Washington, DC: The World Bank Group.

World Bank Group. 2013. Global financial development report 2014: Financial inclusion (Vol. 2). World Bank Publications.

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